Sanlucar de Barrameda, essence de l’Andalousie marine

Les grandes villes andalouses chargées d’histoire arabo-musulmane sont des cités terriennes : Grenade, Cordoue et Séville, cités de plaine et de montagne. Sanlucar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, est tournée vers la mer dans tous les sens: point de départ du tour du monde de Magellan, productrice de la saline manzanilla et incomparable dans sa gastronomie marinera. Je l’aime tant depuis que Jean-Blaise Junod y a tourné deux de ses plus beaux films, Duende et Pèlerinage. Qui visite l’Andalousie sans s’y arrêter au moins une nuit ne comprend qu’en partie la richesse de cette région deux fois plus grande que la Suisse.

Évidemment que Malaga et Cadix sont au bord de la mer avec chacune une grande histoire mais Sanlucar, plus modeste et moins fréquentée par les touristes, nous touche au cœur par tout ce qu’elle contient de richesses authentiques.

Richesse d’une histoire de cinq cents ans cette année et jusqu’en 2022. C’est ici, dans ce port ouvert sur l’océan, comme Liverpool et Lisbonne, que le navigateur portugais Magellan part le 20 septembre avec 234 hommes pour découvrir l’inconnu. Elcano, son compagnon, reviendra du premier tour du monde maritime avec seulement dix-sept marins, le 6 septembre 2022.

Devant le Guadalquivir à Sanlucar, cette même impression qu’on ressent dans des villes fluviales donnant sur l’océan est si prégnant qu’il s’imprime dans le paysage et nos regards. D’où nous sommes nous avons le monde devant nous, aujourd’hui connu, alors un gouffre de mystère. Devant la ville s’étend aujourd’hui le parc de Doñana, la plus grand réserve naturelle d’Europe.

Richesse de l’air salin qui emplit l’atmosphère au point qu’un vin élevé dans des fûts perméables à la salinité est produit ici, la manzanilla, un sherry sec plus fin qu’un Tio Pepe par exemple. C’est un vin incomparable avec la spécialité fétiche de toute cette partie de l’Andalousie, les beignets de crevettes grises.

La richesse de Sanlucar est donc aussi gastronomique puisqu’on y trouve des bars et des restaurants sans équivalent en Europe pour manger ces tortillitas de camaron, des langoustines de Sanlucar et des poissons frits comme le rouget et l’acedia, une sorte de petite sole.

Je mettrai en avant un extraordinaire bar-restaurant au centre de Sanlucar, la Casa Balbino. Le client y commande ses portions ou rations au bar, servi par dix camareros encore mieux organisés qu’à Séville. Quand c’est prêt, on l’appelle ou lui fait signe.

Le tapa de tortillitas de camaron coûte trois euros et suffit pour vous remplir l’estomac tout l’après-midi. La manzanilla Elias est servie glacée du tonneau. Ses saveurs d’amande, de vin oxydé et iodé accompagnent le beignet sans autre association possible ici.

L’autre établissement, la Casa Bigote, est un bon restaurant signalé avec un Bib gourmand dans le Michelin mais a aussi un bar où l’on mange debout ou assis sur de grands tabourets. Nous sommes à côté du bac qui emmène les amateurs de vie sauvage à Doñana. Le soir au coucher de soleil, les langoustines de Sanlucar, le thon salé au tomates et à l’huile d’olive aillée et les petits rougets frits s’accompagnent aussi de manzanilla.

L’œil devant l’océan lointain, le nez imprégné de salinité et les papilles irradiées par l’absolue fraîcheur des produits pêchés ici même, nous expérimentons l’essence maritime de l’Andalousie. Nous nous sentons du même monde, Européens ouverts à toutes les variétés des provinces et des cultures.

Cet article est mon second sur cette ville que j’aime par-dessus tout. En 2009, j’avais écrit celui-ci.