Des paysages particuliers permettent au promeneur de participer à ce que j’appelle des cérémonies sensorielles. Voir et entendre le lac des Taillères qui commence à geler en hiver est l’une de celles-ci. Par exemple ce samedi 29 décembre 2018 vers midi.
Nous citons cette belle phrase de Spinoza dans l’introduction à notre blog : » Le Corps humain est en effet composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’un aliment neuf et varié pour que le Corps entier soit identiquement capable d’accomplir tout ce qui peut suivre de sa nature, et pour que l’Esprit, par conséquent, soit lui aussi capable de comprendre plusieurs choses simultanément et d’une façon équivalente. »
Quoi de meilleur donc pour l’homme que de se promener dans la nature ! Ses cinq sens pourront, dans des circonstances particulières à rechercher ou à découvrir, être alimentés simultanément; il en résultera un plaisir qui nous fera « participer de la nature divine ». La nature, soulignons-le, est Dieu pour Spinoza.
Ainsi, dans un balade au bord de mer, on ouvrira et dégustera un coquillage ou on cuillera et fera fondre une figue bien juteuse dans notre palais. Une forêt jurassienne offrira ses mûres et permettra une torrée.
Les cinq sens y seront « alimentés » de manière sublimée : en Bretagne, les nuages et la mer gris-bleu, les vagues roulantes, les embruns portés par le vent qui fouettent le visage, les effluves salins et le moelleux iodé du coquillage décortiqué.
Dans cette perpective, se rendre devant le lac des Taillères, le premier jour où quelques très rares habitués y patinent, ne constituerait-il pas l’essence de notre Jura hivernal ?
Le tableau de ce 29 décembre se présentait ainsi : le lac glacé où une patineuse avait tracé un huit, comme pour marquer l’infinie beauté de la surface vierge; les pâturages en pente douce avec quelques fermes neuchâteloises, la forêt qui fait frontière avec la France et le ciel laiteux. Quatre étages équilibrés, lisses et lavés de toute scorie.
Une rigueur visuelle, formée de grands plans, que Lermite avait tenté de restituer dans ses oeuvres.
Ce samedi matin-là, depuis quelques nuits que la glace avait pris, s’étaient givrés sur les rives des roseaux et des ombelles.
Sur notre peau aucun souffle. Bise nulle et douce sensation tactile, protégés que nous étions par la grande forêt du sud-est.
Dans le silence de ce espace presque totalement naturel, ce que n’est évidemment pas une piste de ski, deux patineurs glissèrent sur le lac gelé. Habitués du lieu, ils essayaient la glace, pas plus épaisse que cinq centimètres. Accompagné d’ondes sonores craquantes ou sifflantes sortant des gouffres qui remuent, le passage de ces deux patineurs fut saisissant.
Je vous offre donc, chers amis de ce blog, une petite vidéo de mon cru en hommage à notre cher lac, avec des extraits d’une célèbre chanson de Julien Clerc en accompagnement.
Et l’année prochaine, que je vous souhaite belle, nous irons encore sentir les places andalouses embaumées par les orangers, nous baigner dans l’Aar à Berne, faire des torrées et marcher au travers des mélèzes orangés. Ce sont nos modestes rites cérémoniaux, en l’honneur de nos sens qui y ont bien droit pour augmenter notre « perfection« .
Bravo et merci, cher Daniel, de vos réflexions toutes en sensibilité autour de ce beau coin de pays. Je vous adresse tous mes meilleurs voeux ainsi qu’à votre famille pour une bonne et heureuse année. Amitiés.