Provins, à 70 kilomètres au sud-est de Paris, est une petite ville de province inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité. Célèbre place de foire au moyen âge, elle est entourée de remparts du XIIIe siècle, uniques en Europe du Nord. Prototypique d’une bourgade de droite conservatrice, elle galvaude son inscription à l’Unesco en misant sur le folklore et les animations médiévales. Le Locle, avec la même taille, a quand même un autre rayonnement que celui probablement souhaité par le PLR et quelques citoyens.
J’ai toujours eu le désir de visiter cette localité rendue notamment célèbre par Balzac dans son court roman Pierrette. « Récit cruel et désespérant » de la destinée d’une orpheline : « on l’admire mais on s’en détourne, on le cite sans s’attarder, sans l’admettre dans la famille des textes familiers, comme s’il faisait peur. De l’horreur sans concession, un conte bleu devenu noir ; Provins, un univers impitoyable. Dans le huis-clos provincial grouille un nœud de vipères. »
Balzac a toujours raison : quelle déception que cette bourgade en 2018 !
L’opulence secrète de certaines belles demeures entourées de murs en pierre (dont la chaumière bourgeoise de l’ancien ministre de l’information du Général de Gaulle, Alain Peyrefitte, maire de Provins durant trente ans), certaines boutiques cossues, l’offre culturelle proposées aux visiteurs, tout suinte le conservatisme étriqué, la droite bornée avare de ses sous et calfeutrée autour de ses remparts.
Le centre d’accueil touristique distribue un plan des principales curiosités historiques : anciennes maisons médiévales, remparts, églises et tour fortifiée. On est dans l’anecdote, on valorise les personnages historiques célèbres, on fait peu de cas d’informations historiques contextuelles. Même plus, on plonge dans le folklore distrayant : spectacle équestre sur la légende des chevaliers, démonstration de machines de guerre médiévales. Et presque rien de l’histoire socio-économique de ce carrefour d’échanges entre le Nord et le Sud, aux confins de la Champagne. L’histoire, ici, amuse et rapporte : c’est une belle affaire !
Le long du chemin des remparts, par ce beau jour glacial de mi-décembre, m’est venue alors la réflexion que la droite conservatrice mondiale possède quelques principes bien ancrés sur ce que doit être la culture. La même semaine, le représentant du Parti libéral-radical loclois avait déclaré que les Loclois ne « mettent jamais les pieds » au Musée des beaux-arts et que son parti pourrait demander « la suppression de la subvention qu’on lui accorde ».
Je compte parmi les 250 amis de ce musée, je paie ma cotisation annuelle et vais voir toutes les expositions organisées depuis quelques années. Et, dans l’article que vous lisez, je me mêle donc de mes affaires en essayant de dégager ces principes « facilistes ». Pour les esprits obscurantistes (la formule est de Miguel Perez, chef du dicastère de la culture au Locle), la culture doit :
- s’adresser au plus grand nombre sans surprendre, interroger, voire même choquer, être donc populaire et distrayante ;
- être rentable dans le ratio entre les moyens investis et le nombre de spectateurs et de visiteurs ;
- plonger dans de prétendues racines locales qui constituent l’esprit du lieu (exposer les artistes locaux en l’occurrence).
A partir de ces beaux fondements, l’extrême-droite chaux-de-fonnière, sous les ordres d’Yvan Perrin, alors vice-président de l’UDC suisse, avait lancé en 2010 un référendum contre la rénovation du Musée d’histoire. Une mobilisation citoyenne avait fait échouer ce qui semblait devoir tomber comme de la manne dans l’escarcelle des populistes.
Au Locle, comme l’a bien vu Miguel Perez, c’est plus retors, une « manipulation adoucie » visant la mort du Musée des beaux-arts.
Une mobilisation régionale citoyenne doit donc se mettre en place. Si notre « cerveau » doit « refuser de penser » à la fermeture de ce musée, il doit esquisser quatre axes de réflexions pour élever le débat.
1. L’aura actuelle du Musée des beaux-arts du Locle
Sous la direction de Nathalie Herschdorfer, le musée présente depuis quelques années des expositions de valeur internationale. La conservatrice a un immense réseau, des compétences intellectuelles considérables. Quand l’or coule dans notre rivière, il faut ouvrir les yeux et ne pas polluer le courant. Les deux artistes actuellement exposés présentent des œuvres extraordinaires célèbres dans le monde entier, en même temps d’une grande complexité intellectuelle et d’une sensibilité ouverte à tous. En 2017, la fréquentation a …
2. Le sens des dépenses culturelles dans une ville humaniste et, de surcroît, de gauche
Quelques grands principes doivent être rappelés sur le rôle que nous croyons être celui de la culture. Une politique culturelle humaniste, de surcroît dans une municipalité de gauche, affirmera que la culture est :
- un enrichissement avant tout intellectuel et émotionnel et pas seulement financier
- une découverte de l’autre par le biais de l’émotion et du plaisir
- une résistance à la distraction mondialisée et uniformisante
- un investissement économique pour l’avenir et un facteur d’amélioration de l’image d’une région excentrée
3. Les coûts du Musée des beaux-arts du Locle
Les dépenses culturelles de la ville du Locle représentent 3,82 millions pour 2019, soit le 4,84 % des charges totales (79 millions). En comparaison, La Chaux-de-Fonds dépense en 2019 4,76 % de ses chargers et 4,99 en 2018. Le Musée des beaux-arts touche 0,982 mio, les Moulins 0,56 les bibliothèques 0,88 et les affaires culturelles et touristiques avec les subventions 0,78. Le Musée d’horlogerie a un statut spécial puisque les 1,19 millions qu’il coûte n’entrent pas dans les charges de la commune et sont prélevés dans la réserve des Bureaux d’observation du Contrôle officiel suisse des chronomètres.
Les budgets du MBA sont stables depuis 2015 et les visiteurs ont été 5500 en 2017. En 2015 après la réouverture il y en a eu 8300. Les chiffres 2016 ne sont pas disponibles dans le rapport de gestion. Nul doute qu’une augmentation de la fréquentation doit être un objectif. D’où notre quatrième axe de réflexion.
4. Les synergies culturelles possibles entre Le Locle et La Chaux-de-Fonds
Un questionnement sur le sens de l’existence de deux musées des beaux-arts de villes si voisines devrait améliorer les synergies entre les deux institutions. Elles ont chacune leur histoire, leurs collections, les genres artistiques qu’elles promeuvent. Cependant, tout serait à inventer dans de meilleures collaborations : coordination des expositions, communication et animations parfois communes, billets communs, gratuités accordées. Economisera-t-on ainsi ? Sûrement pas mais on inventera un autre futur. Dans ce sens, je plaide pour la ville de La Chaux-de-Fonds propose au Locle, à l’instar de l’Unesco, de s’associer à elle pour le projet de ville culturelle suisse 2024. La Chaux-de-Fonds/Le Locle, villes culturelles suisses 2024, quel beau défi pour notre région !
Gabriel de Weck, rédacteur de RTN, a publié le 1er janvier 2019 ce commentaire inspiré, prenant ainsi clairement position, contrairement à Arcinfo qui se contente de complaisammenr relayer les revendications populistes, en ne pipant mot !
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