Le figuier séculaire de Torca


De Sant’Agata à Torca, dans la péninsule sorrentine, je passe de la petite ville touristique donnant sur le golfe de Naples à un village faisant face au golfe de Salerne, au début de la côte amalfitaine. Sitôt une petite colline franchie, je tombe sur un figuier immense, plantureux, gorgé de fruits mûrs ou encore verts. Et la dame propriétaire me parle de son arbre séculaire et me fait cadeau d’une dizaine de figues comme jamais on n’en mange chez nous.

C’est le sens de l’hospitalité humaniste de la majeure partie de l’Italie du Sud qui est cependant concurrencée par les feintes mesquines de commerçants tentés à chaque fois qu’ils le peuvent de nous truffare, de nous avoir.

Ce fut le cas ce lundi avec cette propriétaire du meilleur bar-pâtisserie de la péninsule, le bar Fiorentino. Traditionnel café et non moins traditionnelle cassata, annoncés 2 et 2,5 euros sur le panneau des prix mais facturés oralement 5 euros par la propriétaire bourgeoise et très bien mise qui fait la caisse. Nullement gênée, elle m’a rendu les 50 centimes comme s’il lui était moralement naturel de faire ses affaires quand elle le peut.

Quinze minutes après, sur le chemin vicinal vers Torca, on entre dans un autre golfe, un autre monde, une autre Italie, une autre sphère morale : l’amour de la terre, de la nature et du monde; l’amour des humains aussi.

Je longe un figuier aux feuilles odorantes et à certains fruits déjà mûrs; je me rends compte de son immensité, à voir son tronc, sa hauteur et sa longueur.

La propriétaire de la ferme, appelons-la Emilia, m’aperçoit et s’offre à m’expliquer que son figuier est plus que centenaire, que ses fruits sont mûrs de fin août à mi-novembre, qu’elle les sèche ou les transforme en confiture. Son bel arbre séculaire est sûrement unique à des kilomètres à la ronde.

Les figues étaient déjà un fruit royal chez les Romains, comme on peut le voir à la Villa Oplontis près de Pompéi. Figues, olives, raisins, et plus tard citrons, sont les joyaux de la Campanie.

Panier de figues, Villa de Poppée à Oplontis, près de Pompei
(79 avant J. C.)

Emilia me propose alors de me cueillir quelques figues, les fiche en italien: de deux ou trois elles en deviennent dix, tirées mûres du prince-arbre. Texture et goût sensuel au point que le sexe féminin se nomme aussi fica dans la langue du peuple.

Après sa cueillette, plutôt la récolte dont elle me fit offrande, elle se mit devant son arbre et, avec moi, médita sur la beauté du monde.

Je descends alors vers Torca et sa piazza ombragée, après cette leçon de choses, comme on disait à l’école primaire il y a soixante ans.

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