Tout au nord du canton de Soleure, l’immense cerisaie de Schollenhäuser représente un patrimoine arboricole qui a frôlé la disparition. Le vieux cerisier de 150 ans derrière lequel se profilent les deux gratte-ciel Roche offre un symbôle marquant de notre pays.
Entouré de forêts, le Kirschenland soleurois se situe à 650 mètres d’altitude au nord du village de Gempen, atteignable en car postal de Dornach-Arlesheim.
Parmi les 1400 cerisiers de haute tige constituant ce lieu patrimonial protégé unique en Suisse, notre vieil arbre a plus de 150 ans. Pilier de cette cathédrale paysagère, il se dresse en avant-plan d’une autre cathédrale du XXIe siècle : les deux tours Roche de Herzog/deMeuron, les plus hauts gratte-ciel de Suisse.
Dans la même ligne visuelle, notre pays se rèvèle tel qu’il est encore et tel qu’il sera sûrement : une agriculture traditionnelle en possible voie d’extinction et un capitalisme dévorateur arrogant.
Un immense verger de cerisiers de haute tige n’est pas plus rentable qu’un jardin de citrons bio à Massa Lubrense en Campanie. L’amour des paysans pour leurs terres pèse peu devant les contraintes : la concurrence des produits étrangers, l’uniformisation des goûts, la difficulté de la récolte à la main, la pression immobilière avide de lieux préservés.
Arpenter ces vergers en fleurs deux vendredis de suite en avril est ainsi un acte d’amour et de résistance, même de possible nostalgie. Les proximités chaleureuses avec nos vergers préservés, nos fruits indigènes et nos agriculteurs amoureux sont nos étendards politiques.
Dans La Cerisaie, pièce de théâtre écrite au début du XXe siècle, Tchékhov avait déjà tout dit, mieux que nous en 2021.
« Il gèle. Trois degrés au-dessous de zéro, et les cerisiers sont en fleur« . Comme en ce mois d’avril où 70 % de la récolte a été grillée par des températures nocturnes de moins sept.
« Blanc, tout blanc. Ô mon jardin. Après un automne sombre et maussade, après un hiver glacé, te voilà jeune à nouveau, plein de bonheur, les anges célestes ne t’ont pas abandonné« , s’exclame Lioubov, l’aristocrate ruinée qui doit vendre sa cerisaie à son ancien serf, avide de projets immobiliers. « Ô mon jardin, mon cher, mon tendre et beau jardin ! Ma vie, ma jeunesse, mon bonheur, adieu. Adieu !…«
Au revoir, Schollenhäuser et Schönmatt. À l’année prochaine !