Comme ancien élu, et actuel militant du parti socialiste neuchâtelois, je suis très fâché de l’attitude irresponsable du groupe socialiste au Grand Conseil le mercredi 24 juin 2020. Se prenant pour le gardien du temple de la parité, il a, avec son petit sac de certitudes, littéralement torpillé le projet de parité au Grand Conseil, piégé qu’il a été par le parti libéral radical.
Les nombreux juristes qui font la loi dans ce parti voient le combat politique avec l’œil du jusqu’au-boutisme formel. Au contraire de mon ami philosophe Daniel Ziegler, le popiste, qui proposait à la gauche de faire passer le projet avec une nuance de taille : tenir compte des personnes qui, sur une liste électorale, ne pourraient se reconnaître ni comme hommes ni comme femmes. Résultat : le parti socialiste a voté avec la droite contre le projet concocté en commission et très légèrement modifié par le POP qui se basait sur un avis de droit.
Couper ainsi la branche sur laquelle on est assis pourrait coûter très cher à mon parti lors des futures élections communales et cantonales. Les femmes de gauche modérées et partisanes du compromis s’en souviendront notamment quand elles iront voter en octobre 2020 est au printemps 2021.
Revenons d’abord sur le précédent échec du PS et des Verts en mai 2019. Comme je l’avais écrit dans un précédent article, il n’avait pas écouté son gouvernement qui jugeait prématuré d’introduire la parité du résultat avant d’avoir expérimenté en 2021 le nouveau système électoral que personne n’a jamais connu. Une grande partie de la gauche voulait que le parlement soit composé de 50 % d’hommes et 50% de femmes dès 2021. Déjà alors, le député-professeur de philosophie Daniel Ziegler avait critiqué cette manière détournée de modifier les rapports de force politiques». Il avait voté contre la loi avec quelques popistes et s’était attiré les foudres de Céline Vara.
Le parlement avait refusé de justesse le projet socialiste et j’écrivais alors qu’il faudait « trouver une formule qui puisse recueillir une large adhésion en votation populaire« .
Une commission parlementaire s’est donc remise au travail. Comme l’écrit aujourd’hui ArcInfo, elle proposait que, « pour l’élection générale du Grand Conseil, chaque liste soit composée d’au moins 30% de femmes en 2021. Le taux minimal devait passer à 40% en 2025 et à 50% en 2029 et 2033. Auteur du projet initial, qui limitait le quota le plus élevé à 40%, le popiste Armin Kapetanovic a expliqué la démarche: «Il faut laisser à tous les partis le temps de s’adapter. Comme le changement sociétal doit être profond, nous devons commencer par une très large adhésion.» »
Hier au Grand Conseil, les rapports de force étaient clairs : jamais la droite (UDC, PLR, Verts libéraux et PDC) ne voulait d’une telle loi. Comme la gauche est majoritaire, il lui était facile de faire passer cette nouvelle loi. Cependant, le député philosophe Ziegler y avait vu deux dangers qu’il a voulu corriger par un amendement qui fixait deux quotas au lieu d’un : au moins 45% de femmes, au moins 45% d’hommes. Pourquoi ? Pour éviter d’exposer inutilement la nouvelle loi « à des recours potentiellement gagnants« . Comme président de la commission des institutions, il s’est basé sur un avis de droit, celui du professeur Martenet de l’Université de Lausanne, avis de droit qui corrobore la proposition de son amendement.
D’abord, il faut éviter la seule référence à un quota de femmes. Comme le relève l’avis de droit, « si un système asymétrique en matière de quotas est finalement choisi, il devrait comporter une limite temporelle afin de ne pas prendre de risque par rapport au droit supérieur. » L’objectif du POP était d’arriver à une loi pérenne.
Ensuite, et c’est ce qui philosophiquement me paraît le plus pertinent, il faut éviter d’introduire une nouvelle discrimination. Il faut en effet tenir compte des personnes non binaires, en nombre croissant en Suisse et dans le canton. Daniel Ziegler : « On pourrait dire, comme le font certains, que l’on compterait ces candidatures non-binaires dans le quota hommes, mais ce serait retomber dans une autre discrimination, des hommes cette fois-ci. En outre, comme le relève l’avis de droit, cette solution bancale reviendrait à obliger ces personnes à renoncer à leur identité non binaire. Le professeur Martinet considère qu’une collectivité publique ne peut inciter une personne à renoncer à son identité. Il faut protéger fondamentalement l’identité de chaque individu.
Pour le POP, qui en l’occurrence était suivi par les Verts, la seule solution, à ses yeux, était de « renoncer à ce quota rigide de 50% et de suivre la proposition du professeur Martenet (« il serait envisageable d’adopter une règle selon laquelle chaque liste serait composée d’un moins 45 pourcents de femmes et de 45 pourcents d’hommes. Cette solution permettrait, dans une hypothèse extrême, de faire figurer 10 personnes non binaires aux côtés de 45 femmes et de 45 hommes. Elle tiendrait, à notre avis, suffisamment compte de ce groupe social souvent ignoré, délaissé et discriminé. Elle laisserait, au demeurant, une flexibilité supplémentaire aux partis politiques, leur permettant notamment de faire figurer une majorité de femmes sur une liste ».
C’est exactement ce que proposait l’amendement popiste. « Soit nous votons le projet issu des travaux de la commission, qui peut tenir la route durant deux législatures et donc jusqu’à un quota de femmes de 40%, mais qui risque fort, au-delà, de susciter des recours gagnants et de nous ramener à la situation de départ dès 2029, soit nous acceptons cet amendement et faisons avancer de façon solide et pérenne la cause de la parité sur les listes électorales. »
Mercredi 24 juin, la discussion sur le projet de loi a d’abord porté sur deux amendements qui ont été refusés. « Le groupe Vert’libéral/PDC a d’abord échoué à ne soumettre aux quotas que les listes comportant au moins 65 candidats. Il en a été de même avec sa tentative de fixer le plafond à 40%. La Verte Doris Angst n’a pas eu davantage de succès avec sa proposition de commencer par 35%, puis 48% dès 2025 et au-delà. » (ArcInfo).
C’est alors que le PLR a tendu un piège à la gauche et singulièremet au parti socialiste : il a accepté l’amendement Ziegler fixant à au moins 45 % les quotas hommes et à au moins 45 % les quotas femmes de manière pérenne. Tout en sachant pertinemment qu’il ne voterait jamais la loi. Sombre manoeuvre politicienne qui ne m’étonne plus de la part d’un parti bien peu libéral ! Le sommet est que dans un communiqué paru le 24, le PLR accuse le PS d’avoir fait capoté la loi. Comme l’écrit le popiste Karim Boukhris, « le communiqué du PLR est d’une malhonnêteté intellectuelle qui dépasse l’affliction. Car c’est bien ce parti-là qui a voté le 45 % pérenne pour ensuite le refuser et ainsi jeter le projet à la poubelle pour maintenant en attribuer la faute au PS. Cette attitude est ignoble et indigne du plus grand parti du canton. » Radicalisme des petitesses !

Le PS a alors fixé un ultimatum au POP et aux Verts avant le vote final. Soit la loi est votée sans l’amendement Ziegler, soit le PS ne vote pas la loi, comme la droite. Le chef de groupe socialiste Jonathan Gretillat a eu cette phrase hallucinante de rigidité : « 45% au minimum, ce n’est pas la parité. On ne transige pas avec l’égalité! » Beau juridisme, bien piètre sens philosophique de la nuance et de la concession !
Le parti socialiste, coupant la branche sur laquelle il était assis, a donc refusé la loi. Avec l’arrogance de ceux qui n’écoutent pas leurs partenaires, avec le refus de faire une petite concession à la « pure » parité, avec le risque énorme que jamais avant dix ans les choses n’avancent.
Comme l’écrit Daniel Ziegler sur son profil Facebook : « Le PS, voyant le dossier lui échapper, a préféré le saborder. Il en voulait absolument la paternité à des fins électoralistes; il l’a, sa paternité : celle d’un lamentable échec. »
Mon parti aura beau jeu de lancer une initiative populaire, il a tiré un trait pour des années sur ce qui était à portée de main. Un torpillage en règle ! Aidé par l’ignominie du PLR !
PS :
Pour résumer les différences de conception, voici la confrontation, sur Facebook certes, entre une posture et une position politiques, entre un slogan et des arguments, entre – c’est un paradoxe – une gauche extrême (la sociale-démocrate) et une gauche modérée, la (nouvelle ?) gauche popiste et verte !
Je me réjouis de lire et d’entendre des femmes de la gauche neuchâteloise s’emparer du débat ! Nous, les hommes, avons trop parlé et écrit.
Quelle discussion creuse, quelle arithmétique de bas étage! Je n’élis pas des gens pour qu’ils se livrent à ces politicailleries…. la parité ne passe pas par une discussion sur les quotas. Elle se manifeste par des dispositions législatives touchant notre manière de vivre et de travailler. Des dispositions que la droite aura toujours de la peine à admettre. En quoi le Grand Conseil serait-il plus compétent avec un nombre égal de députées et de députés? Un peu de bon sens, que diable! Rendons le mandat politique plus attractif qu’il ne l’est actuellement. Ce qui s’est passé cette semaine, c’est du cirque!