Séville, la ville de la Semaine Sainte, mérite qu’on considère ses tapas classiques comme des apôtres du bon goût, simples et bon marché. C’est aussi la ville des rites : certaines processions passent par les mêmes rues aux mêmes moments depuis des siècles et depuis vingt ans je vais manger ces douze tapas classiques dans les mêmes bars. Elles sont immuables et je leur dédie un pèlerinage gourmand, du nord préservé des touristes au sud moins populaire.
C’est au centre des deux hémisphères de la ville ancienne la plus grande d’Europe, le Casco Antiguo, qu’on commence le périple. À bar emblématique, plat prototypique. Au Rinconcillo, le « petit coin », le bar le plus ancien de Séville à côté de l’église Santa Catalina, on trouve certes beaucoup de touristes mais aussi des Sévillans. Ils aiment leurs lieux saints ; et quoi de plus sain(t) que les espinacas con garbanzos, les épinards aux pois chiches, un plat de carême !
Tapa 1, Espinacas con garbanzos du Rinconcillo
Le secret de ce mets, ici facturé 1,80 euros, est l’onctuosité des deux ingrédients qui doivent fondre dans la bouche sans être ni trop huilés ni trop marqués par l’arôme du carvi. Au Rinconcillo, les serveurs notent encore à la craie les consommations sur le comptoir en bois et, surtout, peuvent vous servir des manzanillas de premier choix (Sacristia et Barbadillo en rama).
Par la calle Sol, on monte au nord en franchissant le boulevard de ceinture et on arrive dans le quartier de la Macarena chez Yebra Un bar-restaurant moderne tenu par une famille et qui ne paie pas de mine à l’extérieur, dans la rue de la Médaille Miraculeuse. Et des médailles, il en récolte, ce bar, avec des miracles d’invention dans les plats et tapas dont la carte nécessiterait un dictionnaire pour les profanes.
On mange chez Yebra, offertes à chaque client, de merveilleuses papas aliñas, une salade de pommes de terre vinaigrée et huilée. Avant d’attaquer les premières tapas, on commande d’immenses gordales, des olives très croquantes (2 euros).
Tapa 2, Papas aliñas y gordales
Si je viens dans ce bar proche du couvent des Capucins cher à Murillo, c’est pour une spécialité andalouse de viande en sauce, des petites joues de porc, les carrilladas, servies très fondantes et juteuses avec une bonne sauce au xérès. Les 3,5 euros sont plus chers que la moyenne mais Yebra est un bar de luxe dans un quartier populaire, avec six serveurs aux petits soins des clients.
Tapa 3, Carillada
Une traversée en arc de cercle par la basilique de la Macarena mène ensuite à celle du Gran Poder : deux immenses temples pour la Vierge et le Christ les plus célèbres de Séville et d’Andalousie. À côté de la place San Lorenzo trône Eslava, un des trois meilleurs bars à tapas de Séville selon moi, que je conseille dans mon article de 2014. Outre les poissons connus (boquerones, salmonetes et caballas, anchois, rougets et maquereaux), je sélectionne les acedias fritas, servies seulement en demi-ration pour 7,5 euros.
Tapa 4, Acedias fritas
Cette sorte de solette ne se trouve en Espagne que sur la côte atlantique près de Cadix et un séjour à Séville ne va pas sans en goûter une fois.
Accompagnée, s’il vous plaît, d’une manzanilla qui s’accordera à merveille avec la salinité de ce petit poisson. Voici d’ailleurs comment, au marché de Jerez, on prépare les acedias.
On va maintenant redescendre vers la zone de la cathédrale en passant par les rues commerçantes. Une odeur spéciale de marinade imprègne nos sens dans la calle Velasquez et nous encourage à nous arrêter le long du chemin. Le Blanco Cerrillo, fondé en 1926, a la meilleure marinade (adobo) de toute la ville de Séville, dit-on, et ce n’est pas en vain que là sont frits quotidiennement plus de quarante kilos de boquerones en adobo.
Tapa 5, Boquerones en adobo
Les petits anchois marinés dans du vinaigre rehaussé de carvi sont servis frits et passent comme une lettre à la poste avec une bière Cruzcampo glacée, mas fria. 3,20 euros pour une assiette incontournable de Séville et une bière même si les rues environnantes sont à fuir. Au marché de Jerez voici comment se présente une marinade de cazon (gros poisson à la chair ferme).
On fuit donc illico à Triana, en traversant le fleuve pour aboutir à Las Golondrinas, Les Hirondelles, calle Antillano Campos. Dans l’immeuble en face est né est un des plus célèbres capataz de Séville, Rafaël Ariza, dont la descendance guide toujours les pasos de la confrérie de la O. Bar trianero typique avec les mêmes tapas qui font sa réputation depuis des décennies. C’est simple comme bonjour : d’abord les chipirones a la plancha : des petits calamars grillés légèrement recouverts d’ail persillé.
Tapa 6 Chipirones a la plancha
Puis, encore plus basique, le solomillo, tranche de filet de porc grillée et servie rosée.
Tapa 7, Solomillo
A la fin du siècle passé, Gault et Millau s’étaient enthousiasmés pour ces hirondelles de bonheur. La texture et la saveur de ces produits purs sont rehaussées quand on les accompagne d’une assiette de radis crus, les rabanillas au gros sel et huile vinaigrée. Un bar à se faire relever un paso tout seul !
On retraverse le Pont de Triana sans regarder à gauche l’affreuse tour de la Cajasol qui défigure le paysage. On prend à droite la calle Adriano – l’empereur Hadrien est né à Séville – et on entre dans le quartier de l’Arenal, l’ancien port, avec des bars tous les dix mètres près des rues Gamazo et Harinas. Chez Becerra, un chef qui a beaucoup fait pour renouveler les tapas traditionnnelles on s’arrête pour avaler un salmorejo, dont la recette se trouve dans mon article sur les tapas. A 3,5 euros avec les petits morceaux de jambon frit et le délicat filet d’huile d’olive. C’est la version cordouane plus rustique du gazpacho, peu servi dans les bars sévillans.
Tapa 8, Salmorejo
Un peu plus loin, le troisième de la trinité des grands bars, après Eslava et Yebra : la Bodeguita Romero dont on admire la forme triangulaire du bar, qui facilite le service et crée une atmosphère particulière comme au théâtre.
Tous les classiques des tapas sevillanas sont à la carte avec trois favoris réputés. L’incontournable pringa, une étouffée de viande de poule, porc et boudin servie entre deux miches de pain blanc chaudes (2,2 euros). Revigorant au printemps quand la pluie et le froid atteignent habituellement l’Andalousie.
Tapa 9, Pringa
Puis un carpaccio de morue à l’huile d’olive, bacalao en aceite, qu’on pose sur un toast relevé d’un peu de salmorejo.
Tapa 10, Bacalao en aceite
Quant aux tortillitas de camaron, ce sont des beignets de crevettes grises à 2,50 euros. Avec un verre d’une manzanilla de luxe, la Sacristia (aussi grandiose qu’un Château-Chalon pour 4,5 euros, soit le prix d’un mauvais rosé dans un bar de chez nous), vous aurez dans la bouche comme une quintessence de l’ouest de l’Andalousie : fino, frito y mar …
Tapa 11, Tortillita de camarón
Le pèlerinage se termine dans la calle Arfe, aux 5 Jotas, tout près des arènes. Une fois n’est pas coutume, on casse la tirelire et on commande, pour 17 euros, une media ración de jamón ibérico (ici pas servi en tapa). Le meilleur jambon du monde – oui, chers Frioulans … Un amontillado sec revélera la puissance du goût végétal du jambon, comme si les glands mangés par l’animal s’étaient infusés dans sa chair.
Tapa 12, Jamón ibérico de bellota
Pèlerinage, procession, simple balade gourmande, l’itinéraire suggéré peut se faire en quelques jours, le temps de flâner et de tapéer au gré d’autres de vos découvertes.
Le contraire absolu d’un chemin de croix en douze stations !
Bonjour,
Nous regrettons de ne pas avoir eu connaissance de votre blog avant notre départ de Séville en 2015 pour la via de la plata… vous nous mettez l’eau à la bouche et l’on sent le vrai épicurien en plus de l´homme de culture, bravo et merci
Merci vraiment et je vais illico aller voir comment présente cette vis de la plata ! Et aussi un grand merci pour votre conférence magnifique.