De tous les tableaux de Vallotton visibles dans l’exposition Le feu sous la glace au Grand Palais à Paris, le Nu à l’écharpe verte du Musée de La Chaux-de-Fonds est un des plus beaux. C’est, dans l’absolu, le plus important tableau de notre collection par sa valeur sur le marché et par son importance dans l’œuvre d’un artiste. Même derrière le Derain et le Constable.
L’exposition de Paris qui le conduira aussi à Amsterdam et Tokyo jusqu’en septembre 2014 lui rend gloire à la fin de l’accrochage, dans une section consacrée aux tableaux ambigus du peintre.
J’aime cette œuvre imposante qui est la nôtre depuis que le Syndicat patronal des producteurs de montres l’a donnée au musée en 1944. Mais quelle conception traditionnelle de l’art et de la femme, qui devait si bien convenir aux patrons horlogers de l’époque !
Au même moment, Braque, notamment, qui a l’honneur d’une sensationnelle rétrospective au Grand Palais, explore les voies radicales du cubisme synthétique avec ses collages. Il ne s’intéresse pas à raconter des histoires et casse la tradition réaliste à laquelle Vallotton sera toujours attachée. L’œuvre de Braque explorera pendant cinquante ans des voies plastiques variées alors que les 1700 œuvres de Vallotton en resteront à de simples déclinaisons de thèmes.
Braque, Guitare et cheminée, 1921, Galerie Nationale, Prague
Dans ce sens le peintre vaudois est un marginal dans mes goûts : il n’invente rien, ni formellement ni dans le lien si classique entre regard et plaisir.
L’exposition explique bien la « dialectique de l’exhibition et de la dissimulation » en jeu chez Vallotton, ici magistralement mise en scène dans l’opposition entre la rigueur du fond vert strié et la volupté du tissu rouge. Le corps se donne à voir dans un jeu entre la disponibilité et la réserve; le peintre spectateur un peu misogyne sait qu’aucun regard ne doit empêcher « la pleine possession de ces femmes vulnérables et disponibles, observées dans la convention d’une fausse effraction, dans l’excitation de l’interdit. » (Laurence des Cars). Notre belle a les paupières closes, mais pas nous qui l’observons dans la « convention d’une fausse effraction ».
Dans cette « collusion traditionnelle entre l’œil et le désir », Vallotton n’invente rien. Ce corps voluptueusement tordu dans sa jouissance rêvée est puissamment peint : le savoir, nous qui le possédons dans notre musée, tant regardé par d’autres ne nous le rend que plus précieux.
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