Quelques beaux « monumentos » de Séville le Vendredi Saint


À Séville, une tradition religieuse existe avant le dimanche de Pâques. Dans des églises ou couvents, on prépare des autels avec le Saint-Sacrement : des monumentos, très richement décorés de fleurs et de cierges.

Avec des images et une vidéo, cet article en langage simplifié va expliquer le sens de cette coutume catholique. Elle existe aussi dans d’autres pays comme l’Italie.

Les catholiques et les protestants sont des chrétiens. Pendant la messe ou le culte, ils communient pour se souvenir de la mort et de la résurrection du Christ. Ils sont ainsi en relation avec lui.

Une différence importante oppose pourtant les deux religions.

Les catholiques croient que les hosties et le vin sont vraiment le corps et le sang du Christ. On appelle cette doctrine la transsubstantiation. L’hostie conserve son apparence physique (son goût, sa texture, son odeur). En même temps, au cours de la messe, le prêtre lui donne un caractère sacré : il la consacre. Elle devient alors le corps du Christ, le Saint-Sacrement.

Les protestants ne sont pas du tout d’accord avec cette théorie de la transsubstantiation. Pour eux, le pain et le vin sont seulement des symboles du corps et du sang de Jésus. Le Christ n’est pas réellement présent quand les fidèles boivent le vin et mangent le pain pendant la communion.

Les jours avant le dimanche de Pâques, on commémore la passion (le jeudi), la mort (le vendredi) et la résurrection (le dimanche) du Christ.

Le Jeudi Saint est un jour sacré en Espagne. En fin d’après-midi a lieu la messe du dernier repas du Christ (la Cena del Señor). Ce jour-là, le Jésus a expliqué à ses disciples qu’il allait mourir, trahi par Judas. Il leur a demandé de se souvenir de lui par la communion. Il a promis à ses fidèles la vie éternelle en mourant pour eux.

Dans toutes les églises catholiques du monde existe un meuble qui contient les hosties consacrées au cours de la messe, le tabernacle (sagrario). C’est une sorte de petite maison. Les hosties consacrées sont conservées dans une coupe en métal précieux appelé ciboire.

Le tabernacle peut être réalisé en bois, en métal, en pierre. Il est en général placé derrière l’autel, donc derrière le prêtre qui célèbre la messe. Il est bien en vue des fidèles. Il est précédé de marches, avec des chandeliers pour allumer des cierges.

Quand un catholique passe devant l’autel, il s’agenouille ou se prosterne. Il rend ainsi hommage au Christ contenu dans le tabernacle.

À la fin de la messe de la Cena del Señor, le ciboire contenant les hosties est transféré dans une petite chapelle (ou un autre endroit de l’église), proche de l’autel. C’est le monumento, avec un autre tabernacle (sagrario), des fleurs, des cierges, des tentures et d’autres objets. Jusqu’au vendredi soir, les fidèles pourront prier, méditer et se recueillir devant le Saint-Sacrement.

Transfert des hosties dans le sagrario du monumento : le prêtre transporte le ciboire recouvert d’un tissu. Le ciboire est placé dans le sagrario du monumento (couvent de Santa Paula, 6 avril 2007)

Ainsi, lors de la messe du jeudi après-midi, le prêtre consacre deux ciboires d’hosties. Les premières sont consommées lors de cette messe par les fidèles.

Dans un second ciboire, les autres hosties sont portées en procession solennelle vers le tabernacle (sagrario) du monumento. Elles y restent jusqu’au lendemain pour la messe du Vendredi Saint. Symboliquement cela signifie que l’autel principal est purifié.

La cérémonie du dépôt du Corps du Seigneur a un autre but. Elle rappelle aux fidèles les angoisses et les douleurs subies parJésus du jeudi au vendredi. Il s’est senti abandonné par Dieu dans le jardin des oliviers ; il a été arrêté, jugé et condamné à la crucifixion.

Le monumento est donc un lieu de prière et de méditation important, du jeudi soir au vendredi soir.

La décoration de ce monumento est extraordinaire dans chaque église ou couvent sévillans. On dit d’ailleurs que Séville est la Rome andalouse, avec une forte piété populaire.

Chacun monumento a son style particulier. Le point commun à tous est de commémorer la mort du Christ. Ils sont décorés de tentures, de fleurs et d’objets divers, par exemple des symboles du pain et du vin. Le nombre de cierges blancs doit au moins être de douze.

Voici cinq exemples commentés :

Église de la Magdalena

Cette église est l’une des plus grandes de Séville. Elle possède un retable gigantesque (grande sculpture en bois derrière l’autel). Son monumento est impressionnant avec un tabernacle à plusieurs étages.

Église de San Marcos

On voit bien l’emplacement du monumento, dans une chapelle au fond de l’église. Deux prie-Dieu (sièges où l’on s’agenouille pour prier) invitent les fidèles à méditer. Cinq bouquets de fleurs multicolores (des oeillets surtout) embellissent l’autel. Le sagrario est très sobre, différent de celui de l’église précédente. Le pain et le vin du dernier repas du Christ sont là : les épis de blé et la cruche. Je trouve ce monumento extraordinaire de sobriété et de raffinement.

Ancien couvent de la Paz

Ce monumento est aussi extraordinaire par sa rigueur et sa symbolique. La chapelle obscure est seulement éclairée par douze cierges. Il y aussi quatre bouquets de fleurs blanches placés sur des reposoirs en bois, une tenture rouge et un palmon. Cet objet artisanal est fait de feuilles de palmier tressées à la main. Il symbolise le dimanche des Rameaux. Ce jour-là, Jésus est entré triomphalement à Jérusalem cinq jours avant sa mort. Jésus mort est aussi présent, porté par sa mère, la Vierge Marie. En espagnol, on appelle cette scène une piedad. Cette petite statue du 17e siècle en bois sculpté coloré (polychrome) appartient à l’église de cet ancien couvent. Elle se trouve au-dessus du sagrario en argent.

Le corps et le sang de Jésus sont aussi présents. Sur l’autel sont posés un pain dans un plat en argent avec une grappe de raisin et deux cruches en cristal : l’une avec du vin, l’autre avec de l’eau. Finalement une bible est ouverte sur le récit de la mort de Jésus. On est ému par tant de spiritualité contenue dans des objets. C’est l’objectif de l’art baroque : fortifier la foi par des images émotionnelles.

Couvent de Santa Angela de la Cruz

Ce couvent présente son sagrario dans une petite salle éloignée de l’église. Celle-ci n’est pas accessible aux fidèles et réservée aux nonnes. Par contre, les visiteurs qui viennent pour prier ou méditer le vendredi matin peuvent entrer. Ce fut mon cas et j’ai « volé » ces images avec l’accord de la mère supérieure. Le monumento est envahi de fleurs blanches (la pureté) qui contraste avec le tissu rouge posé sur le sol. Le rouge symbolise la passion du Christ. Jésus est présent par une petite statue qui le représente enfant. C’est un charmant Niño Jesus qui porte dans sa main droite une couronne d’épines. Elle symbolise sa future mort. En effet pendant son jugement, on lui a mis sur la tête cette couronne pour se moquer de lui. C’était un faux roi pour les Romains et les juifs qui l’ont condamné à mort. Le vin (par les raisins) et le pain se trouvent derrière un bouquet de roses rouges. Je trouve ce monumento aussi extraordinaire. Il réussit à mettre ensemble la beauté et la douleur.

Couvent de Santa Paula

Je termine par où j’ai commencé, l’église du couvent de Santa Paula, un monastère de clôture. Les nonnes n’en sortent jamais et assistent à la messe derrière une barrière en fer. Ici sur l’image de droite, elle prient et méditent, comme les fidèles. On peut entrer librement dans cette église intime. Il faut d’abord traverser un magnifique jardin.

C’est la magie de Séville, une ville intime. Intime seulement pour les visiteurs sortant de la massification. La massification est la douleur des villes touristiques.

Cet article est écrit en langage simplifié. Je le dédie à Sylvie Pipoz, de La Chaux-de-Fonds. Au Musée d’histoire de cette ville, elle a mis en pratique le langage simplifié dans les textes de présentation des expositions. Aucun parti politique de La Chaux-de-Fonds n’a inscrit comme priorité politique le développement du langage simplifié dans l’administration et les institutions communales. C’est regrettable et significatif d’un certain élitisme.

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