La frise mentale de Rolf Blaser à Soleure


Rolf Blaser, l’artiste chaux-de-fonnier originaire de Soleure, a présenté dans la Haus der Kunst de sa ville natale 160 de ses gouaches. Disposées comme une frise dans cette ancienne église conventuelle baroque, elles font parcourir au spectateur un chemin chronologique et mental plongeant dans l’imaginaire tourmenté de l’artiste. Un livre paru à cette occasion retrace ces étapes marquantes de deux années, du 7.1.2021 au 3.5.2023.

L’exposition a eu lieu dans l’église de l’ancien couvent Saint-Joseph qui permet aux artistes une liberté totale d’installation.

Mêmes formats, mêmes techniques, mêmes obsessions, fantasmes, cauchemars, bizarreries et miroirs de soi, les 160 œuvres retracent deux années de cheminement patient à valeur d’exutoire pour l’artiste atteint dans sa santé.

Deux grands espaces, la nef et l’abside, déroulent la frise le long de laquelle le regard passe d’une image à l’autre. Dans la Tentation de Saint-Antoine de Bosch à Lisbonne, toutes les fantasmagories se donnent d’un bloc, en simultané.

À Soleure, quand on est presque seul dans l’ancienne église, le journal intime défile dans une continuité hallucinante, passant d’un thème à un autre, d’une journée de création à une autre.

Gloser sur les influences espagnoles (Greco, Velazquez, Goya, Picasso) ou expressionnistes (Kirchner, Schiele, Bacon) revient à édulcorer l’unicité des mondes de Blaser, traversés depuis trente ans par des thèmes récurrents : le corps souffrant, la gémellité, l’hermaphrodisme, le couple, les combats et exercices d’équilibriste, l’animalité et les micro-foules.

Les sept premières images disent cette variété et ces variations imaginaires au fil des premiers jours de création. Le petit format et la gouache offrent un terrain propice à l’instantanéité de l’imaginaire.

La scène fantasmatique s’ouvre dans la sérénité relative d’un dos nu hermaphrodite surmontant un tutu à la Degas. Les bras sans mains semblent remonter un store à lamelles. Puis se précipitant à gauche, une figure masculine athlétique avance, les cuisses en forme de x. La troisième montre deux figures enchevêtrées, la tête en bas après une lutte acharnée. Un bouledogue-tigre, monstre sorti des enfers, sort ensuite ses crocs. Sur la cinquième gouache, un être assis par terre, les jambes écartées, avec son ombre se projetant sur un mur gris. Et retour du bouledogue-tigre court sur pattes avant, dans la septième scène, une petite trentaine de crânes squelettiques amoncelés nous fixant de leur lieu indicible.

Et d’autres images vont surgir.

Dans son patient cheminement de la nef et de l’abside, le spectateur n’aura pas été voyeur mais voyant. À travers Blaser, des mondes s’ouvrent à lui sans qu’il puisse bien expliquer d’où ils viennent et où ils l’emmènent. Plus en direct que le livre qui diffère l’émotion, ils le renvoient à lui-même, à sa finitude corporelle et à l’immensité imaginaire du genre humain projetant ses fantasmes et ses peurs.

L’ouvrage publié à cette occasion aux Editions Clandestin de Bienne coûte 43 francs.

Rolf Blaser est hélas décédé d’un cancer le 25 mars 2024. « La couleur se fait chair, la figure reste peinture. ». Telles sont ses dernières paroles publiques.

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