Il faut résoudre le différend entre la Ville et la Société des amis du Musée des beaux-arts


Le lundi 5 décembre est convoquée une assemblée générale extraordinaire de la SaMba, la Société des amis du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, intimement liée au développement de l’institution à laquelle elle s’attache : active depuis près de 150 ans, elle est en effet à l’origine du musée, dont elle a construit le bâtiment au début du siècle dernier et constitué la base des collections. Une convention règle les rapports entre elle et la ville dont la modification voulue par la Ville empoisonne les relations entre les deux parties. Au point que le Président de la Société ainsi que quatre membres du comité annoncent leur démission avant cette assemblée. Comme membre d’honneur de la SaMba et engagé dans les affaires du musée de 1982 à 2016, je suis partisan de la résolution du différend par un compromis dont le Conseil communal et le conservateur doivent être les maçons. On ne rénove pas une maison en en cassant les fondations.

La source de la discorde (qui n’est pas très grave mais qui pénalise du dynamisme de la Ville) apparaît en juin 2019. Le Conseil communal, soutenu par les conservateurs (il n’y plus de femme dans cet univers culturel local), propose au Conseil général la suppression de toutes les commissions de gestion des musées et de la Bibliothèque. C’est une commission de gestion purement politique qui est instaurée, formée de quinze membres représentant les partis selon leur force au Conseil général.

Lords de cette séance houleuse et confuse, la suppression totale des quatre commissions des musées fut justifiée par le Conseiller communal popiste Théo Bregnard avec deux arguments. D’abord, dans les autres villes de Suisse, ces commissions spécifiques n’existent pas. De plus, leur existence institutionnelle n’est plus nécessaire puisque « chaque musée doit trouver sa singularité » ; autrement dit, c’aurait été aux sociétés d’amis des musées de jouer le rôle des commissions !

Ces arguments ont été balayés par 23 voix contre 5 puisque l’amendement suivant, proposé par le PS, a été accepté. Il visait à graver dans le marbre du règlement communal l’existence de ces commissions, essentielles. Voici comment l’article 152 se présente maintenant depuis fin juin 2019 :

« Les commissions consultatives permanentes s’occupent notamment d’urbanisme, d’aménagement, de culture, de chaque musée et bibliothèque communal(e), d’économie, de jeunesse et de politique foncière et immobilière, ainsi que de toponymie. »

La majorité du Conseil général, contre le Conseil communal, a eu le souci de préserver des liens avec les compétences citoyennes. En effet, les commissions de gestion des quatre musées communaux disparaissaient du nouveau règlement !

Il a jugé nécessaire et indispensable qu’elles continuent d’exister, mais seulement comme des commissions consultatives, nommées par le Conseil communal et avec la possibilité de constituer leur bureau.

La question s’est en effet posée en juin 2019 de savoir qui présiderait ces commissions consultatives. Par 29 oui sans opposition, le Conseil général a accepté un amendement proposé par le POP : « Les commissions consultatives déterminent elles-mêmes leur présidence. ». Autrement dit, la présidence des commissions consultatives comme celles de la jeunesse, de l’économie ou de l’urbanisme par exemple, ne sera plus automatiquement assurée par un membre du Conseil communal. Les commissions des musées continuent donc d’être présidées par des amateurs d’art, d’horlogerie, d’histoire ou de sciences naturelles !

Une commission politique aurait pu donner de l’importance à la culture en décloisonnant la gestion de chaque musée et de la bibliothèque de la Ville. Elle aurait offert ensuite aux élu-e-s une vision globale des objectifs stratégiques, des enjeux et des défis comme pour le projet de « La Chaux-de-Fonds, ville culturelle suisse 2025 ». Le récent crédit de 10 millions accordé aux rénovations du toit du MIH, du parc et d’une partie du Musée d’histoire a cependant montré les limites d’une telle commission politique. Ainsi les membres PLR de la commission, par manque de temps donné par le Conseil communal pour faire mûrir le projet, ont pris une position différente de leur groupe du Conseil général. Ce fut le premier gros couac de cette commission de gestion qui coupe les liens entre les amis des musées et les musées.

Toujours lors de cette séance de juin 2019, le Conseil communal a commis une seconde erreur en voulant passer de façon brutale d’un système à l’autre. On n’efface pas d’un coup de cuillère à pot toute une histoire, parfois très ancienne, entre les musées et la ville. Il faut une transition plus douce et plus raisonnable qui continue à donner voix au chapitre aux citoyen-ne-s, aux bénévoles et aux sociétés d’ami-e-s qui, depuis tant d’années, ont contribué de manière significative au développement des quatre musées. Faut-il rappeler, par exemple, toute l’importance de ces entités lors de la votation communale du 26 septembre 2010 relative au projet de rénovation du musée d’histoire ? (OUI à 61.2 % avec un taux de participation de 36.02 %).

Les commissions des musées ont des liens étroits avec les sociétés d’amis. Ces liens sont parfois fixés dans des conventions. C’est le cas au Musée des beaux-arts où les membres de la société des amis étaient majoritaires. Certaines de ces sociétés possèdent en outre une partie des collections ou du mobilier des musées, à l’instar de la Société des Amis du Musée des beaux-arts, notre chère SAMBA.

Les quatre commissions des musées ne sont donc plus des commissions de gestion, mais des commissions consultatives. Les nouvelles compétences de ces commissions sont réduites par rapport à la situation passée où elles se prononçaient entre autres sur les budgets et les comptes des musées. Nous changeons d’échelle dans les prérogatives : une commission consultative n’a pas les mêmes pouvoirs qu’une commission de gestion.

Je donne trois exemples du pouvoir de décision qu’a eu la commission du Musée des beaux-arts dans laquelle j’ai siégé de 1984 à 2016.

A) Du temps d’Edmond Charrière, c’est notre commission qui a souhaité qu’une grande exposition Rolf Blaser, assortie d’un catalogue, soit organisée.

B) Pendant la législature 2012-2016, elle a réussi à modifier le budget du MBA et à créer un demi-poste de conservateur assistant.

C) En 2015, elle a refusé que le prix d’entrée du MBA soit de 15 francs, ce que voulait imposer le Conseil communal

La raison du différend actuel entre la ville et la SaMba est que celle-ci, propriétaire d’une partie des œuvres, n’est que minoritaire dans la commission consultative et n’a plus aucun pouvoir de décision dans la gestion du musée. Or, une convention formalise depuis 1985 les rapports entre les deux instances. Dans cette convention, la commission dont il est question n’est pas consultative mais est une commission de gestion, avec d’importantes prérogatives.

Vu la modification des pouvoirs des commissions, cette convention doit être revue pour que légalement le service cantonal des communes accepte la modification du règlement communal voté fin juin 2019. Et que politiquement le différend s’apaise entre la Ville, le Musée des beaux-arts et sa société d’amis.

À noter que sur 10’000 œuvres du MBA, 2’200 sont propriété de la SaMba (dont, par exemple, le chef-d’oeuvre de Vallotton, Le Nu à l’écharpe verte, qui vaut plus d’un million). Jusqu’en 1985, date de la convention suite à la création de la commission, la SaMba possédait 2’000 oeuvres. Des legs très importants ont été accordés au musée ou à la Ville dès 1985 et entre 200 en 300 oeuvres ont été achetées par la SaMba depuis 1985.

De plus, elle est une très importante collectrice de fonds privés dont bénéficie le MBA : Biennale, achat d’oeuvres, aides à la publication de catalogues ou de livres. Ainsi entre 2020 et 2022, la SaMba a récolté CHF 140’000.- , dont CHF 20’000.- pour le récent ouvrage sur le Style sapin.

Dans la liste officielle ci-dessous des sept membres de la commission consultative du MBA, on voit bien que la SaMba est très minoritaire. Elle souhaite garder la majorité, comme elle l’a eue jusqu’en 2020 : Carnal Jehanne, Englert Marine, Herny Marie, Moser Claude-André (représentant de la SaMba), Paillard Morgane, Siegfried Malou (représentante de la SaMba), Vrolixs Mélissa.

Comme membre d’honneur de la SaMba et engagé dans les affaires du musée de 1982 à 2016, je conclus cet article, qui cherche à éclairer le différend, par ce voeu : je suis partisan de la résolution de ce différend par un compromis dont le Conseil communal et le conservateur doivent être les maçons. On ne rénove pas une maison en en cassant les fondations.

Annexe

Sur le site de la SaMba, non mis à jour depuis plus d’une année, on trouve des informations indispensables pour la compréhension du statut particulier de cette société d’amis.

« Le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds trouve son origine dans la création en 1864 de la Société des amis des arts, dont les buts étaient alors, par l’acquisition d’oeuvres et l’organisation d’expositions, de développer la culture artistique de la région, avec pour devise de « rechercher le beau dans tous les domaines intellectuels et travailler en même temps à la prospérité matérielle de notre pays ». L’événement phare organisé par la Société est alors son exposition bisannuelle, qui continue aujourd’hui encore, sous le nom de Biennale de la Société des amis du Musée des beaux arts de La Chaux-de-Fonds, de promouvoir la création artistique neuchâteloise. La collection, encore modeste, est présentée de manière permanente dès 1877 dans une salle du Collège industriel puis à la Grande poste. En 1899, grâce à un legs de Léon Gallet, président de la Société, un fonds est constitué pour la construction d’un musée qui sera alimenté par le Bureau de contrôle des métaux précieux, la Commune de La Chaux-de-Fonds, le Canton de Neuchâtel, la Confédération et des dons privés. Le bâtiment, construit dans un style art déco de tendance néo-classique par l’architecte René Chapallaz et le peintre Charles L’Eplattenier, est inauguré en 1926. (…)

C’est après la guerre, avec l’exposition Le cubisme de 1910 à 1915, que le musée s’ouvre à l’art contemporain international et que se développe sous l’égide du conservateur Paul Seylaz la collection actuelle. En 1985, la Commune crée la Commission du Musée des beaux-arts pour remplacer dans la gestion de l’institution la Société des amis des arts, qui dès lors consacre ses ressources à l’acquisition d’oeuvres et à l’animation du musée. En 1986, Mme Madeleine Junod, membre d’honneur de la Société, lègue trente oeuvres à la Ville : une collection prestigieuse, qui ne trouve pas au Musée l’espace et la sécurité qu’elle requiert. Un projet d’extension et de rénovation est adopté. La Société participe activement à la collecte de fonds privés, entraînant le Conseil général de de la ville à voter en 1989 un crédit exceptionnel pour la rénovation et l’agrandissement du bâtiment, rouvert au printemps. (…)

Le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds a besoin du soutien de sa société d’amis. Ses collections comportent plusieurs ensembles remarquables qu’il doit pouvoir compléter quand des occasions se présentent. Conçu dès son origine comme un musée consacré à l’art de son temps, il doit pouvoir continuer à le refléter en achetant des œuvres d’artistes contemporains. Il lui faut aussi proposer à destination du plus large public des programmes de médiation, afin qu’un plus grand nombre de visiteurs puisse découvrir et apprécier ces richesses trop souvent méconnues. Il dispose enfin de spacieux espaces d’expositions temporaires, qui lui permettent d’organiser et d’accueillir des expositions d’envergure, susceptibles d’enrichir la culture artistique locale et d’assurer au musée le rayonnement qu’il mérite. (…)

Le soutien logistique et financier de la SaMba lui permet de mieux assurer ces tâches essentielles. La SaMba participe à la recherche de fonds nécessaires à l’organisation des expositions. Avec sa Biennale d’art contemporain, organisée conjointement avec le musée, elle contribue à mettre en valeur les jeunes talents régionaux, dont elle achète des œuvres pour le musée. Elle finance au coup par coup des manifestations qui permettent d’enrichir le programme culturel et de médiation du musée. Elle contribue à l’achat d’œuvres patrimoniales que les ressources seules du musée ne permettraient pas toujours d’acheter, et aide le musée à valoriser ses collections, en participant par exemple au financement de publications, comme le livre Milton au musée.

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