Gais est une petite bourgade du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures où officie l’une des meilleures cuisinières de Suisse, Silvia Manser. Son menu végétarien vaut le voyage dans le restaurant Truube qu’elle tient avec son mari Thomas, qui gère le service.
Dans cet établissement on se sent tout de suite à la maison car, comme en son temps chez Georges Wenger, Silvia vient régulièrement nous servir ses plats marqués chacun par de subtils jeux contrastés.
L’article se propose de détailler l’ensemble du menu qui comptait sept plats, non compris les amuse-bouche et le pré-dessert.
Avec l’apéritif, le cocktail Manzoni sans alcool, on nous sert un cornet de noix assaisonnées « maison » et une mini-quiche aux poireaux, une effilochée de céleri aux noix à l’émulsion d’ail et une sorte de petite parmigiana relevée par des anchois.
Puis vient le pain maison aux tomates séchées et olives accompagné de trois beurres maison. Un restaurant sans une attention scrupuleuse et amoureuse portée au pain n’est pas un bon restaurant.
La prė-entrée est emblématique de l’esprit de Silvia. Le contraste entre le tiède de la crème brûlée à la courge et la glace au curry fait palpiter les papilles, surtout que quelques cubes de champignons des bois adoucissent l’ensemble. Spectaculaire.
Le premier plat, Glasnudelsalat, Chili, Kicherererbsenbällchen, Limette, relève d’un baroquisme qui nous rappelle que l’abbaye de Saint-Gall est proche. Voyage vers l’Orient avec des mini-falafels tièdes, des pousses de soja, et sous les shitakés, une salade corsée de petites nouilles « Dangmyeon », des nouilles de verre, transparentes et à base d’amidon et d’eau. Des filaments de piments verts corsent ce plat avec les gouttes de sauce soja. Bluffant.
Puis la soupe, si l’on peut dire pour encenser cette Klare Tomatenessenz, Ricotta, Himbeer, Basilikum, un consommé opposant le salé et le sucré, la plante et le fruit. Le bouillon froid de tomates contient des petites boules de jus de framboise qui éclatent en bouche avec les saveurs concentrées du sorbet de basilic. Heureusement que la roulade de ricotta aux herbes vient adoucir l’explosion gustative. Détonnant.
On continue avec la pasta. Ce sont des Tortellini, Artischoken, Kapern, Senf, Zitrone. Dans un beurre mousseux citronné à la moutarde, la délicate saveur des artichauts (dans la farce des tortellini et en morceaux sur l’assiette) se heurte à l’âpreté de quelques câpres. Onctueusement rapicolant.
Voici le moment de l’œuf cuit à basse température. Le Stundenei, Blattspinat, Blumenkohl, Sommerpilze se présente comme un cadeau dont il faut défaire l’emballage. Sous l’œuf cuit une heure dans sa coquille puis sorti je ne sais comment, se trouvent des épinards en branche étuvés et fortement relevés. La douceur des mousses au chou-fleur et aux champignons, peu salées elles, fond dans la bouche quand on a percé l’œuf. Et les gros morceaux de champignons des bois, nature, nous rappellent que Silvia aime ses classiques qu’elle revisite. Qui n’a pas dans sa mémoire gustative les œufs aux épinards de nos mamans. Virtuose.
Le plat de résistance, Süsskartoffel, Spitzkohl süss-sauer, constitue une alternative au morceau de filet de bœuf appenzellois qui est servi dans le menu non-végétarien : un fricandeau-rouleau de printemps avec du chou pointu macéré, sur le même chou nature et à côté de deux gros morceaux de patate douce croquante avec leur mousse. Un petite saucière nous permet d’arroser ce plat sans viande d’un beurre blanc. Totalement végétarien !
L’assiette de cinq fromages accompagnée d’un panforte maison mérite une mention spéciale. La tomme de vache, le fromage de bufflonne style gruyère, le bleu de Jersey, et les deux chèvres, l’un dur, l’autre mou, proviennent du célèbre fromager de Lichtensteig, Willi Schmid. Introuvable en Suisse romande.
Vient ensuite un pré-dessert, un crème glacée à la vanille, jus aux pommes avec des cubes de pommes et de … céleri-branche.
Le dessert enfin, avec notre estomac léger, détoxinisé de la viande : Karotte, Pistazien, Orange, Mandel. Oui, des carottes, mais à l’aigre-doux. Oui de la pistache, mais dans une pâte soufflée style panettone et dans la glace. Oui, de l’orange, mais très amère dans le coulis. Tous ces produits sur un biscuit à la carotte. Exubérante tourte à la carotte revisitée.
Car Silvia est une revisiteuse des classiques de la cuisine alémanique, si vous ne l’aviez pas compris après le départ oriental.
Mais ce n’est pas tout à fait fini. Avec le café, un bâton chocolaté de glace au fruit de la passion, un praliné aux noisettes et une roulade au citron.
Et à la sortie, le sourire ravi d’une cheffe ravie du ravissement de son hôte d’un jour, qui reviendra et qui, il l’espère, fera venir à Gais les amoureux de la Suisse culinaire.