ARCINFO comme service social qui dérive ? Pas du tout, un peu, beaucoup, à la folie ?


Cet article considère que la presse régionale, notamment ArcInfo, est un « service social » , « au service des citoyens ». Je me battrais « jusqu’à la mort » pour que notre cher journal ait le droit de dire ce qu’il pense être juste, même si je ne suis pas d’accord avec lui. Ces jours, je m’interroge pourtant sur le sens qu’il donne à s’acharner, à travers ses deux journalistes inviestigateurs, sur le Conseil communal de La Chaux-de-Fonds. Dérive-t-il sans capitaine à bord ? Je ne sais…

Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! […] Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.

Dans Le Mariage de Figaro, pièce de théâtre écrite en 1778 et jouée seulement en 1784, Beaumarchais, à travers le personnage de Figaro, valet d’un aristocrate, livre un réquisitoire social contre la société de son époque qui culmine dans un célèbre monologue dont est issue la citation « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ».

Elle est toujours en exergue de la une du journal Le Figaro, longtemps en possession du groupe fondé par Robert Hersant.

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Il y a une dizaine d’années, le groupe de presse ESH éditions suisses de Philippe Hersant était l’actionnaire majoritaire de la Société neuchâteloise de presse, éditrice de L’Express, de L’Impartial et du Courrier Neuchâtelois.

Actuellement, ce groupe créé au début des années 2000, « est actif dans la presse régionale, en Suisse romande principalement, à travers ses marques médias phares, ArcInfo, Le Nouvelliste et La Côte. »

«Le lecteur est au centre de notre stratégie de reconquête que nous déployons sur les supports numériques», a récemment déclaré Sébastien Hersant, chargé de la transition digitale au sein de ESH Médias « Nous croyons fondamentalement au rôle d’un média de proximité qui propose des contenus de qualité avec des informations approfondies, au service des citoyens et répondant au mieux à leurs préoccupations

Je considère donc qu’ArcInfo est un « service social » qui, ces jours, essaie de « conquérir » ses lecteurs sur les services sociaux de La Chaux-de-Fonds !

C’est un fait avéré et peu nouveau : les médias, particulièrement les médias écrits, vivent depuis quelques années des temps difficiles. Face à la montée en puissance des médias gratuits, des réseaux sociaux et autres moyens électroniques accessibles en tout temps et face à l’évolution de la manière d’appréhender l’information, la presse peine à trouver un chemin.

Bien évidemment, la presse régionale ne fait pas exception à ce constat. Alors même qu’il y a encore dix ans nous pouvions compter sur plusieurs offres médiatiques régionales écrites, les citoyennes et citoyens des Montagnes neuchâteloises n’ont plus, comme seule alternative « papier », que le journal ArcInfo.

Est-ce à cause de cette position de monopole ou au contraire par la crainte, fondée, de disparaître, aspiré dans le tourbillon de l’évolution numérique, que notre cher journal semble peiner à trouver sa ligne pendant cette année si difficile à vivre pour la presse écrite ?

Dans tous les cas, c’est dans ce contexte qu’il a créé ce qu’il a appelé « sa cellule enquête ». Un binôme de deux journalistes ayant pour tâche de mener des enquêtes au long cours dans ce qui aurait dû s’inscrire dans la plus pure tradition du journalisme d’investigation et qui semble ces jours s’être mis en quête de son « Watergate ». Ainsi, on imagine aisément qu’en découvrant les difficultés dans lesquelles se débattait le Service social de La Chaux-de-Fonds (SCAS), les deux journalistes n’ont pas hésité longtemps avant de consacrer leur énergie à ce sujet. Mais n’est pas Woodward et Bernstein qui veut !

Je souhaite donc revenir sur ce traitement de l’information : fait-il ou non dériver le bateau ?

Le 8 janvier 2020, un premier article rédigé dans un style que chacun-e est libre d’apprécier ou non, paraît sous le titre « Sociaux : gros dégâts humains et financiers ». On apprend alors que le SCAS doit affronter depuis de nombreuses années des difficultés de management mais aussi de procédures avec à la clé potentiellement des erreurs dans le suivi des bénéficiaires qui pourraient coûter cher à la Commune.

La Conseillère communale en charge de ce service, Madame Babey,  répond aux médias dont tous reprennent les explications d’ailleurs dans une mesure bien plus large que ArcInfo lui-même. Qu’à cela ne tienne, le journal se rattrape ensuite dans un article paru le 5 février,  » Services sociaux : Katia Babey  rassure en toute transparence « , et qui revient sur les explications données par la Conseillère communale au Conseil général quelques jours plus tôt. Revenons sur un extrait de cet article qui date maintenant de huit mois :

« Pour ce qui est des pertes financières, liées à un non-suivi des dossiers ou à un manque d’effectifs pour ce faire, l’élue a été transparente: «Des contrôles systématiques sont désormais en place pour minimiser les risques d’erreur. Il s’agira de rattraper les retards accumulés et d’en limiter les conséquences financières.»

En revanche, il ne sera «matériellement pas possible de corriger l’ensemble des dossiers qui ont été mal tenus». Et donc de récupérer tout l’argent qui devrait l’être. De combien parle-t-on? Impossible de chiffrer précisément les pertes à ce stade. »

Madame Babey admet, Madame Babey prend les choses en main.

Mais que pense alors l’État, autorité de contrôle des services sociaux de cette situation ? La réponse vient directement de la part du chef du Département de l’économie et de l’action sociale, Jean-Nathanaël Karakash qui, répondant à une question sur les conséquences des problèmes du SCAS en plénum du Grand Conseil le 22 janvier 2020 (page 20 à 26 du PV), a notamment dit ceci :

 » L’ampleur des problèmes constatés lors du contrôle opéré à La Chaux-de-Fonds a amené à de nombreux échanges entre le service cantonal et le SSR d’abord, puis à notre niveau, en présence de la cheffe, nouvelle cette fois, de dicastère. Cette dernière a confirmé la situation critique dans laquelle se trouvait le SSR au niveau de ses ressources humaines, et nous a informé qu’une démarche d’audit avait été mandatée par le conseil communal sous cet angle en 2019, ce qui a été révélé publiquement ultérieurement par la presse. En tant qu’autorité de surveillance et dans la suite de ces échanges, nous avons pris la décision de saisir formellement le Conseil communal en novembre 2019, pour lui faire part des graves problèmes détectés en matière de respect des normes d’aide sociale, de gestion des dossiers, de gestion des flux financiers et de procédures de contrôle interne du SSR. Le Conseil d’État et le Conseil de la facture sociale ont également été informés de la situation.  Dans ce cadre, nous avons fait part au Conseil communal de nos exigences en vue de rétablir la situation dans les meilleurs délais. Dans les grandes lignes, ces exigences portaient notamment sur la remise par la commune d’une planification de mise en conformité, traitant aussi bien du pilotage et de l’accompagnement de la démarche, de la gouvernance et de l’organisation du service que des étapes prévues. Elle fixait également avec précision les modalités de suivi du déploiement par l’autorité de surveillance, notre département, incluant l’organisation d’un nouveau contrôle sur site durant le 2e semestre 2020. Ces exigences ont été acceptées et sont actuellement mises en œuvre par le Conseil communal. Elles visent prioritairement à rétablir un fonctionnement courant conforme aux normes et directives d’ici à la fin de l’été. Ce n’est qu’ensuite qu’il conviendra pour le service de rattraper les retards accumulés et d’en minimiser les conséquences négatives. Cela étant, il ne sera matériellement pas possible de documenter rétroactivement l’ensemble des dossiers qui ont été renseignés de manière erronée ou incomplète, de sorte que le SSR continuera de toute évidence à faire face à certaines difficultés dans les années à venir, chaque fois qu’il s’agira de documenter rétrospectivement les interventions auxquelles il a procédé dans un dossier particulier. « 

L’État a posé des exigences, la situation est claire dès le départ :  La Chaux-de-Fonds devra documenter, mettre en place tout ce qui est nécessaire pour éviter les erreurs à l’avenir et corriger les erreurs passées et assumer ses responsabilités. Aucune ambiguïté sur ce point : oui, il y a des erreurs et tout le monde assume. Chacun fait son travail et on attend de nos autorités qu’elles règlent légitimement le problème !

Dès lors, le sujet est mis entre parenthèses pendant quelques mois; la COVID, le semi-confinement prennent l’ascendant sur toute information. Et puis les élections communales sont reportées. Pourrait-on croire que le sujet avait perdu de son urgence au vu de cela ?

Que non pour nos deux investigateurs qui reviennent à la charge le 24 septembre 2020. ArcInfo titre : « Ex-chef de service : La Chaux-de-Fonds généreuse ».  La cellule enquête pointe alors du doigt la convention passée entre la Ville et l’ancien chef du SCAS. Nous sommes alors à un mois des élections communales et Madame Babey doit s’expliquer sur le raisons de cette convention. Un mois avant les élections, quelques jours seulement avant la réception du matériel de vote et pourtant… la convention a été signée en décembre 2019, soit avant que l’article du 8 janvier ne paraisse. Un article qui citait l’ancien chef de service qui semble s’être alors largement épanché sur sa situation.

Se pourrait-il que cette convention fût en mains du journal depuis de nombreux mois ? C’est impossible à affrmer comme à confirmer; cependant, le déroulement des faits m’avait déjà troublé fin septembre.

Un trouble qui a grandi à la lecture du troisième article paru le 13 octobre 2020 et qui titrait « Aide sociale de La Chaux-de-Fonds: des millions dans la nature et une gestion catastrophique ». Cet article qui semble avoir fait mouche auprès des autres médias et de la population ressemble cependant à un « recyclage » de l’article du 8 janvier, à la suite duquel tant le Chef du DEAS que la Conseillère communale avaient dit en transparence qu’il y avait bien de graves problèmes et qu’ils étaient en train d’être traités.

Sur mon nouveau blog chaux-de-fonnier, j’ai eu l’occasion de montrer combien des anciens ministres de la République ont déversé leur venin.

Mais pour ajouter du corps, ArcInfo met un peu de sel : il mentionne plusieurs millions « de perte sèche » et laisse entendre que la vérité avait été minimisée en début d’année. Or en début d’année, aucun chiffre n’avait été articulé. En effet, tant les autorités communales que cantonales avaient précisé à plusieurs reprises que la situation était grave, qu’elle devait être réglée et que seule une analyse approfondie suivi d’un deuxième contrôle de l’État pourrait permettre de déterminer les montants. Un contrôle de l’État qui fait suite au premier contrôle, lui aussi mentionné avec transparence par les autorités en début d’année déjà. ArcInfo l’aurait-il oublié lorsqu’il mentionne un rapport secret ? Négligence involontaire ou orientée afin de décrédibiliser l’autorité ? Dérive ou pas ?

Il n’en demeure pas moins que le Conseil communal in corpore semble ne pas goûter à cette manière de retranscrire une réalité partielle, raison pour laquelle le 13 octobre au soir il a fait paraître un communiqué relevant que ArcInfo ne pouvait avancer des chiffres qu’il n’avait pas et qui sont en cours de clarification.

Ce communiqué n’a donné lieu à aucune communication sur Arcinfo comme si la transparence semblait être à géométrie variable. Autre dérive du frêle esquif ?

Le sommet de mon trouble – de retraité actif qui prend du temps pour aller « pouiller » la presse et les PV – n’a cependant été atteint que vendredi 16 octobre au soir. Après la lecture du communiqué du Département de l’économie et de l’action sociale paru dans l’après-midi (et qui en gros reprenait l’allocution du chef de Département au Grand Conseil de janvier), j’ai découvert l’interprétation étrange qu’en faisait ArcInfo.

La cellule enquête aurait-elle cherché dans les détails de ce communiqué une sorte de confirmation de ce qu’elle assène ? Et surtout, est-ce que ce communiqué confirme vraiment la mention de « plusieurs millions de pertes » et de « rapport secret » ? En fait non, absolument pas. Cependant, sachant que très peu de monde lit les communiqués officiels, c’est une manière d’agir bien commode que de tenter une justification officielle d’un article qui semble de plus en plus bancal et ce à une semaine seulement des élections. Dérive un peu plus à tribord ?

Au final, la question que l’on peut se poser est bien celle de savoir à qui profite cette manière de traiter l’information.

Aux citoyens ? Ne leur donne-t-on pas une information partielle, transformée et subjectivement commentée ? Certes parfaitement tolérable mais parfaitement criticable aussi, c’est le but de mon article.

Aux bénéficiaires de l’aide sociale ? Aux travailleurs du service social ? Avec l’image que cela donne de l’aide sociale on oublie le travail important qui est fourni pour les personnes les plus précarisées.

À la Ville ? Sûrement pas ! C’est d’autant plus paradoxal qu’ArcInfo a fait, avec d’autres journalistes des rubriques régionales, (dont le cher Vincent Costet, un super professionnel), un magnifique travail de présentation des enjeux électoraux dans chaque commune. Débats publics, compte-rendus des conférences de presse des partis, analyses : jamais les citoyens neuchâtelois n’ont été aussi bien informés sur des élections communales.

Je souhaite que ce qui se cache derrière cette série d’articles ne s’avère pas, au final, peu glorieux. Les personnes qui renseignent la cellule enquête ont peut-être un contentieux avec la Ville ou ses autorités. J’ai mis en évidence celles qui gravitent autour de ce dossier et qui n’ont hésité à se lancer, comme des vautours, sur les réseaux sociaux, sur un SCAS mis une nouvelle fois en cause le 13 octobre.

Parmi eux, M. Frédéric Hainard, ancien ministre, qui avait témoigné en janvier devant caméra. Il est jamais à court d’une remarque acerbe sur la gestion du service et est peut-être une « source » importante d’informations pour nos deux enquêteurs.

Ils ont un droit absolu de travailler comme ils le souhaitent, avec les sources qu’ils jugent fiables ! Nous avons un droit absolu de nous demander si oui ou non ils dérivent !

Nous ne pourrons finalement nous faire une idée précise que lorsque ces fameuses enquêtes menées par les autorités auront abouti. Mais à ce moment-là il est possible que le gros des dégâts aura été fait tant vis-à-vis des personnes qui travaillent pour rétablir la situation du service que de la directrice de l’Action sociale, Madame Babey.

Dans cette affaire, elle fait preuve d’un courage qu’aucune personne ou aucun homme n’aura eu avant elle.

 

 

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