Les professeurs du lycée seraient-ils, se demande le journal gratuit A+, usés par les voyages d’études qu’ils doivent organiser ? A ce regard triste diminuant la puissance d’être, je répondrais qu’au contraire, je suis médusé par la joie que mes 20 voyages m’ont apportée depuis 1988.
Ainsi donc, des amis, ceinturés par l’angoisse de n’avoir plus aucune « garantie pour rien« , ont fait « une croix » sur les voyages d’études. Ils souhaitent rester enseignants, pas « voyagistes » croulant sous les responsabilités. Tout serait pour eux « source d’inquiétude » et ce serait tellement stressant qu’ils vivraient le retour à la maison « comme une libération« .
Ces affections négatives, je les comprends bien mais elles ne peuvent que rendre triste; je suis pour ma part, au contraire d’être usé, médusé par la joie que mes 20 voyages d’études m’ont apportée depuis 1998 à Budapest jusqu’au dernier, ce printemps à Londres.
Les moments d’intensité joyeuse se concentrent dans une petite semaine où tout concourt à augmenter la puissance d’être des voyageurs. Peu importe notre stress intermittent, nos nuits difficiles, nos petites frustrations intellectuelles : l’essentiel est que nous soyons les médiateurs entre le monde à découvrir et les étudiants.
Tout m’est un : bien sûr les musées et l’art, mais aussi les paysages, les espaces naturels et urbains, les surprises culinaires et les fous rires. Et les gens qu’on rencontre : une professeure d’anglais à Prague, un vigneron à Maury, un cultivateur de citrons à Sorrente, un cafetier cockney à Londres.
Des émotions culturelles magnifiques sont inscrites dans nos mémoires : le 3e Concerto pour piano de Bartok avec Zoltan Koscis à Budapest, la salle Brueghel à Vienne, le Quatuor Talich dans les jardins du château à Prague, notre classe toute seule devant les grands Frans Hals à Haarlem, le théâtre-musée Dali à Figueras, la visite de la Charité à Marseille le 11 septembre 2001 à 14 h. 00, les heures passées devant les Sept oeuvres de la miséricorde de Caravage dans l’église Pio della Misericordia à Naples, la mosquée de Cordoue et les jardins de l’Alcazar à Séville, les vitraux de la chapelle du King’s College à Cambridge. Et Pompei, Paestum, le Rijksmuseum, le Louvre, les grandes cathédrales de Prague, Séville, Londres et Paris.
Là n’est pourtant le plus intense : le voyage nous fait mais nous « défait » aussi dans les instants de beauté renversante et inconnue de nous. Beauté « convulsive » des excursions, promenades ou longues marches révélant, à l’improviste, des paysages inconnus dans des lumières inoubliables : le verger de Strahov à Prague, les dunes de Zandvoort longées à bicyclette, les 22 kilomètres de Collioure à Banyuls au-dessus de la mer et des vignobles, les calanques de Cassis en bateau, le sentier des dieux de la côte amalfitaine de Praiano à Positano, le rocher écossais de Bass où nichent des dizaines de milliers de fous de Bassan, le Regent’s Canal vers Hackney au soleil couchant ce printemps à Londres.
Et finissons par valoriser, à l’instar de ce blog spinoziste, la découverte de saveurs nouvelles génératrices de bonheurs simples. Quels moments de rire et de surprise devant les pâtisseries viennoises de chez Demel, la Kozel blonde ou brune du Boeuf noir à Prague, les « matjes » filets avec du genièvre à Amsterdam, le maury du Mas Amiel, l’aïoli de La Petite Maison à Marseille, la confiture de citron et le limoncello sorrentin des Nunziata, le haggis d’Edimbourg servi à l‘hôtel du même nom, la pie and mash de Cooke’s à Hackney …
Que vivent longtemps ces voyages éclairants, renvoyant les touristes en vadrouille à leurs petits lopins de certitudes !
Budapest 1988
Palais Wallenstein, Prague 1990
Beginjhof, Amsterdam 1994
Zandvoort, Amsterdam 1996
Banyuls, Collioure 1998
Pompei, Sorrente 2004
Musée du Louvre, Paris, 2005
Séville 2007
Giardino di Vigliano, Sorrente 2010
Bass Rock, Edimbourg 2013