Leipzig, Dresde : des villes européennes berceaux de la musique germanique avec Bach, Beethoven, Mendelssohn, Schubert, Schumann, Brahms, Strauss. Des lieux de concerts prestigieux : l’église Saint-Thomas, le Gewandhaus, le Semperoper. Il s’agit donc bien d’un pèlerinage dans des lieux sacrés par la présence invisible mais encore si audible des grands créateurs qui y ont vécu ou travaillé.
L’église Saint-Thomas doit notamment sa célébrité à Jean-Sébastien Bach qui y fut cantor de 1723 à 1750. La Passion selon Saint-Matthieu y fut créée. Chaque semaine il composait la musique d’une cantate consacrée à illustrer un passage de l’évangile commenté ce dimanche-là.
Nous y entendîmes ce samedi après-midi d’octobre la Cantate BWV 180 « Schmücke dich, o liebe Seele « (Pare-toi, ô belle âme). L’église est remplie de gens imbibés de l’esprit luthérien, bien différent de l’austérité calviniste. Après quelques motets, la pasteure commente le texte de la cantate et en tire le contenu religieux. Durant la cantate dont voici quelques extraits,
nous sommes habités tant par l’esprit de Bach qui repose dans la crypte que par la force encore tranquille des Leipzigois. Chaque lundi depuis 1980 jusqu’au fameux 9 octobre 1989, ils priaient pour la paix dans l’église voisine de Saint-Nicolas. Quand ce soir fameux ils sortirent, surveillés dans par la Stasi, 70’000 personnes les attendaient dans la rue, soutenues notammment par Kurt Masur, le chef pacifiste de l’orchestre du Gewandhaus.
Cet orchestre a été créé en 1743 par de riches marchands et artisans. A partir de 1781, les concerts furent donnés dans la grande salle du bâtiment de la guilde des drapiers. C’est ici qu’eurent lieu entre autres les premières du Triple Concerto de Beethoven, de la Symphonie en ut majeur de Schubert, de la Symphonie écossaise de Mendelssohn et du Concerto pour violon de Brahms. Schumann, dont on visite à Leipzig la maison qu’il habita avec Clara de 1840 à 1844, y fit jouer par son ami Mendelssohn sa première symphonie en 1841. Mendelssohn en effet fut le directeur orchestral du Gewandhaus de 1835 à sa mort en 1847. Il remit en valeur l’œuvre de Bach et fonda l’école de musique toujours en activité. En 1884, la ville bâtit à l’orchestre son propre palais des concerts. Ce bâtiment fut détruit en 1944 par des bombardements. Ce n’est qu’en 1981 que fut inauguré le troisième Gewandhaus, sous la direction de Kurt Masur.
Quelle chance donc inouïe d’avoir pu acheter deux billets retournés à la dernière minute pour un concert mémorable! Riccardo Chailly est le chef de cet orchestre incomparable par son homogénéité et sa sonorité compacte et lumineuse. Il vient de faire paraître l’intégrale des symphonies de Brahms. La 1ère qu’il dirigeait ce soir-là avant une tournée à Londres, Vienne et Paris, était déchargée du poids que lui ont donné de grands chefs comme Furtwängler ou Klemperer. Chailly, qui dirigeait en face de nous, impulse à son orchestre un énergie chantante où tous les pupitres jouent dans un esprit chambriste. C’est le Brahms auteur d’une musique qui se donne elle-même à entendre, en rien « germanique » et pesante mais générant ses propres variations et climats. En exemple, un extrait du début de la symphonie, célèbre par l’entrée des timbales : elles font aller vers l’avant.
Aucun sentiment de l’inexorable, mais une impulsivité qui fit titrer le lendemain au journaliste du Leipziger Volkszeitung : « Leipziger Masstäbe ». Chailly et son orchestre sont en train de poser les critères d’excellence d’une interprétation moderne de Brahms. Et c’est dans cette ville de Leipzig si profondément imprégnée de tradition musicale que celle-ci continue à se perpétuer en se renouvelant. C’est toute l’Allemagne de 2013, celle qu’il faut aimer.
Dresde est aussi une grande cité musicale, célèbre par son opéra du XIXe siècle, construit par l’architecte Semper.
Richard Strauss y créa 9 opéras dont le fameux Chevalier à la rose. Le plus vieil orchestre d’Europe, la Staatskapelle, reste aussi le plus mal connu « à l’Ouest ». Pourtant les enregistrements disponibles témoignent de la qualité exceptionnelle de cette doyenne des phalanges européennes. Son Tristan et Iseut de Wagner avec Carlos Kleiber et ses Richard Strauss avec Rudolf Kempe en témoignent. C’était donc comme si, lors de la 9ème Symphonie de Mahler dirigée par le chef coréen Myung-Whun-Chung, on entendait sonner du Richard Strauss. Chung nous fait éprouver combien Mahler est notre contemporain, cent ans après. Son orchestration révolutionne l’histoire de la musique et fait entendre de nouveaux sons, modernes dans le sens qu’ils mêlent traditions populaires et bruits divers de la vie urbaine moderne. Avec Mahler contemporain de l’introspection freudienne des profondeurs, la métaphysique va avec les cauchemars, les angoisses et la trivialité de l’âme. Chung, aussi menu que Mahler, est magnifique à la fin du concert quand il assied devant les musiciens de ce vénérable orchestre. Son interprétation ne grandifie jamais le compositeur.
1 commentaire