La mort de Patrice Chéreau me rappelle combien ses créations des pièces de Bernard-Marie Koltès étaient de véritables corps à corps entre les acteurs dirigés d’une manière impressionnante.
Ainsi, Combat de nègres et de chiens, créé en 1983 au théâtre des Amandiers à Nanterre. On y allait en RER puis en bus et on entrait dans l’espace scénique transformé en soubassement d’une bretelle d’autoroute. Michel Piccoli, Philippe Léotard et Myriam Boyer y jouaient devant un public partagé dans deux espaces latéraux. C’était physique dans la manière dont nous étions placés, dans la violence de l’intrigue, dans le jeu déjanté de Léotard.
Laissons Koltès parler : « Combat de nègre et de chiens ne parle pas, en tout cas, de l’Afrique et des Noirs – je ne suis pas un auteur africain -, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale. Elle n’émet certainement aucun avis. Elle parle simplement d’un lieu du monde. On rencontre parfois des lieux qui sont des sortes de métaphores, de la vie ou d’un aspect de la vie, ou de quelque chose qui me paraît grave et évident, comme chez Conrad par exemple les rivières qui remontent dans la jungle… J’avais été pendant un mois en Afrique [en 1978] sur un chantier de travaux publics, voir des amis. Imaginez, en pleine brousse, une petite cité de cinq, six maisons, entourée de barbelés, avec des miradors ; et, à l’intérieur, une dizaine de blancs qui vivent, plus ou moins terrorisés par l’extérieur, avec des gardiens noirs, armés, tout autour. C’était peu de temps après la guerre du Biafra, et des bandes de pillards sillonnaient la région. Les gardes, la nuit, pour ne pas s’endormir, s’appelaient avec des bruits bizarres qu’ils faisaient avec la gorge… Et ça tournait tout le temps. C’est ça qui m’avait décidé à écrire cette pièce, le cri des gardes. Et à l’intérieur de ce cercle se déroulaient des drames petits-bourgeois comme il pourrait s’en dérouler dans le XIVème arrondissement : le chef de chantier qui couchait avec la femme du contremaître, des choses comme ça… Ma pièce parle peut-être un peu de la France et des Blancs : une chose vue de loin, déplacée, devient parfois plus déchiffrable. Elle parle surtout de trois êtres humains isolés dans un lieu du monde qui leur est étranger, entourés de gardiens énigmatiques. J’ai cru – et je crois encore – que raconter le cri de ces gardes entendu au fond de l’Afrique, le territoire d’inquiétude et de solitude qu’il délimite, c’était un sujet qui avait son importance ».
Pièce si forte que je l’ai même étudiée avec une classe il y quinze ans. Puis ce furent après 1983 plusieurs virées à Nanterre pour les autres pièces de Koltès et le Quartet de Heiner Müller. Des moments inoubliables de pure émotion théâtrale.
Merci Patrice Chéreau dont je me réjouis de voir en vidéo la mise en scène de Elektra de Strauss à Aix-en-Provence cet été.
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