Jusqu’au bout de Schumann avec Mitsuko Uchida


La pianiste japonaise si germanophile Mitsuko Uchida donnait en août un concert mémorable à Lucerne. Son dernier disque Schumann qui vient de paraître présente les trois oeuvres qu’elle a jouées au public du KKL, si bouleversé. Nous y étions…

 

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Laissons Jonas Pulver du Temps dire si bien ce que fut ce concert mémorable.

Jeudi 22 août 2013

Mitsuko Uchida, Schumann jusqu’à l’aube

  • Jonas Pulver

 

La pianiste, artiste étoile au Lucerne Festival, a reçu mardi soir une standing ovation au KKL.

Faire lever toute une salle de concert à grands coups de bis virtuoses est une chose. Yparvenir en jouant le mouvement lent de la Sonate «facile» KV 545 de Mozart est le privilège d’une poignée d’artistes d’une autre trempe. Mitsuko Uchida est de ceux-là.

Pour l’inauguration de sa résidence au Lucerne Festival, elle déployait mardi soir au KKL un récital d’une exigence rare, serti en épilogue par la simplicité abyssale du compositeur viennois. Un équilibre parfait entre le naturel du phrasé et l’immatérialité du timbre. Soudain, Mitsuko Uchida parle la langue de Mozart. Ou, plus exactement, parlent-ils la même langue.

La force de la pianiste d’origine japonaise, c’est de conférer une clarté de chaque instant à l’articulation sonore, au verbe musical, sans jamais tomber ni dans la sécheresse, ni dans le trait forcé. En préambule de trois grandes œuvres de Schumann, elle livre ses axiomes: Bach, deux Préludes et Fugues ciselés avec autorité pour dire le soin, l’importance du contrepoint, et puis Schonberg, Six Petites Pièces Op. 19 jouées avec une profusion de couleurs cristallines et de résonances ombrées, pour cartographier son univers acoustique.

Trois moments de Schumann: la jeunesse crépusculaire (tourbillonnante Sonate Op. 22), la traversée de la nuit (les Scènes de la forêt, à la poésie nostalgique et vénéneuse), enfin tombée du petit matin, l’aveuglement de la folie, qui voit le compositeur s’offrir aux eaux du Rhin (bouleversants Chants de l’aube). Mitsuko Uchida sait rendre à cette musique son vocabulaire et ses climats typiquement germaniques. Au-delà de la maturité technique (le dosage idéal entre prise de risque, lisibilité et effervescence dans la sonate), c’est la pureté de l’expression qui frappe, la superbe fragilité du chant, une qualité d’abnégation qui n’est pas un effacement de soi, mais plutôt une identification complète au drame musical, à ses voix secrètes, à sa vérité propre.

 

Et offrons-nous le dernier morceau des Chants de l’aube, si splendidement décrit par Harry Halbeich :  » Et voici (Calme d’abord, puis plus animé, ré majeur) l’ultime étape du voyage inachevé, aboutissant aux rivages d’oubli, à la vacuité de cette sérénité désormais inutile, livrée au vertige du vide. Au-delà de cette grève gri­sâtre, il n’y a rien. Et pourtant, aucune sen­sation de désespoir ne naît de cette étendue déserte : du corps abandonné, l’âme s’est envolée, emportant son mystère vers la paix ensoleillée du pays de l’Aube, où tout est Musique. »

          Chant de l’aube, V, par Mitsuko Uchida


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