Israël-Palestine : Quand l’extrême-gauche se prend les pieds dans le tapis, par Léo Bysaeth


Je partage avec mes lectrices et les lecteurs ce texte de mon ami Léo Bysaeth. Il a, comme moi, été choqué par le communiqué de SolidaritéS sur l’attaque du Hamas contre Israël. Il estime, comme moi aussi, que ce parti d’extrême-gauche fait bon marché des victimes civiles israéliennes et entretient une confusion fâcheuse sur la question de l’usage de la violence par des victimes de l’oppression. Lors des prochaines élections cantonales ou fédérales, je pense que mon parti, le parti socialiste, doit refuser de s’apparenter avec SolidaritéS.

Texte de Léo Bysaeth

Le 10 octobre 2023, SolidaritéS a publié un communiqué sur la guerre enclenchée le 7 par les troupes armées du mouvement palestinien Hamas. Alors que je suis solidaire depuis toujours de la cause palestinienne et opposé au caractère colonialiste de l’Etat d’Israël, ce communiqué intitulé « Solidarité avec le peuple palestinien » m’a pourtant profondément choqué: comment ceux qui furent mes camarades anti-impérialistes et humanistes peuvent-ils confondre l’inhumanité et le massacre avec la lutte armée légitime d’un peuple opprimé ? Comment peuvent-ils croire que le Hamas islamiste et terroriste va libérer le peuple palestinien ?

Les récents développements de cette guerre atroce et les agissements de l’armée israélienne, condamnés à juste titre par l’ONU et l’OMS, n’enlèvent rien au malaise initial ressenti à la lecture de ce communiqué, ni à celle de sa version complétée le 12 octobre.

Je remercie mon ami Daniel Musy d’avoir bien voulu m’offrir l’hospitalité de son blog pour me permettre de partager ces quelques réflexions avec ses lecteurs.

Thèse No 1 :

Une atrocité est une atrocité, qui que ce soit la commette

Le 7 octobre 2023, les combattants du Hamas ont assassiné des centaines de civils israéliens désarmés. Cet acte n’est pas un acte de guerre, mais un massacre. Quelle que soit par ailleurs la responsabilité historique de l’Etat israélien dans l’oppression épouvantable du peuple palestinien, rien ne justifie l’assassinat ni la prise en otage de civils désarmés, y compris des personnes âgées et des enfants.

Thèse No 2 :

La solidarité avec un peuple opprimé ne peut être une solidarité avec des actes comme le génocide, le crime de guerre, le non-respect du droit humanitaire, l’assassinat indiscriminé

Ainsi, être solidaire de la lutte des militants sud-africains contre l’apartheid ne signifiait pas être solidaire du supplice du collier infligé à de soi-disant traîtres par des militants de l’ANC.

Thèse No 3 :

Une cause qui commet des actes inhumains pour triompher ne mérite pas de triompher et si elle triomphe, elle emmènera son propre peuple en enfer.

Je n’ai pas besoin de trop développer ce point. On a vu ce qu’a donné « l’avenir radieux » promis par les Bolchéviques et le « Reich millénaire » d’Adolf Hitler. Une relecture de « 1984 » de Georges Orwell ou de « Vie et destins » de Vassili Grossman devrait nous avoir vaccinés contre ce type d’illusions.

Thèse No 4 :

Penser que la pensée islamiste radicale va libérer le peuple palestinien est d’une profonde stupidité

Il est urgent en effet, si l’on est réellement solidaire du peuple palestinien, de dénoncer la mainmise des ultrareligieux islamistes sur la population palestinienne. Admettons que ce mouvement triomphe. Ce serait la paix au Proche-Orient ? La liberté pour les Palestiniens ? Absolument pas. Ce serait massacre de tous les juifs et charia pour tous. Cela me rappelle les illusions d’une partie de l’extrême-gauche lors du retour de Khomeiny en Iran. Certains ont cru y voir les prémisses d’une « révolution permanente » communiste.

Analyse : L’extrême-gauche, idiot utile de l’islamisme ?

Le 10 octobre, le parti helvétique d’extrême-gauche SolidaritéS a publié un communiqué intitulé « Solidarité avec le peuple palestinien ».

Comment est construit ce texte et que dit-il de cette extrême-gauche ?

Le communiqué commence ainsi :

« L’armée d’occupation israélienne a débuté une nouvelle campagne militaire meurtrière contre les Palestinien-ne-s dans la bande de Gaza occupée, et a poursuivi des opérations de répressions dans la Cisjordanie occupée. »

Cet incipit devrait apparaître comme profondément bizarre, voire pervers, à quiconque.

Il renverse complètement la chronologie, en faisant passer la réaction israélienne (proportionnée ou pas, là n’est pas la question) pour une attaque enclenchée par Israël.

Imaginez que vous parliez de la contre-offensive ukrainienne actuelle en écrivant : « L’armée pronazie de Kiev a débuté une nouvelle campagne militaire meurtrière contre les Russes du Donbass », on vous prendrait soit pour un fou, soit pour le service de presse du Kremlin.

Le communiqué se poursuit ainsi :

« Cela fait suite au lancement de roquettes et l’incursion terrestre, maritime et aérienne des combattants du mouvement palestinien Hamas dans les territoires de la Palestine historique de 1948, à l’intérieur de l’État d’Israël. »

Donc, là, le lecteur comprend que « la nouvelle campagne militaire meurtrière » menée par Israël est bien une réponse à une attaque précédente de l’ennemi palestinien. Pour autant, cela ne dissipe absolument pas le malaise que j’ai ressenti à la lecture de ce texte. Pourquoi ? Simplement parce que le langage utilisé camoufle l’atrocité des actes commis par le Hamas. Nous avons ici un exemple parfait d’euphémisation, dans la grande tradition observée par tous les totalitarismes. Le massacre aveugle de civils désarmés devient une « incursion ». Les assassins fanatisés du Hamas deviennent des « combattants ». Pourtant, comment qualifier de « combattants » des gens qui n’ont, au départ, rien combattu. A moins que de vider des chargeurs de kalachnikov sur des jeunes rassemblés pour un concert puisse être assimilé à un « combat » ? En l’occurrence, la seule comparaison qui vienne est celle d’un Bataclan proche-oriental. Je ne sais pas moi, mais il me semble que l’extrême-gauche est un peu opposée, voire tout à fait contre le terrorisme islamique.

Des crimes antisémites, indubitablement

Est-ce que ces civils ont été tués parce qu’ils faisaient partie des forces d’occupation ? Est-ce que les bébés et les vieillards ont été tués en tant qu’oppresseurs ? Évidemment non. Ils ont été tués uniquement parce que juifs. Des membres de kibboutz se sentant proche des revendications palestiniennes ont aussi été massacrés. Pourquoi ? Parce que le Hamas et les assassins fanatisés qu’il a formés, est profondément antisémite. Peu importe que le juif soit pour la paix, pour la justice, c’est un juif à abattre.

Je poursuis l’analyse.

Pour le rédacteur du communiqué, nous avons assisté à une « incursion » « dans les territoires de la Palestine historique de 1948. » La référence à l’Histoire est ainsi posée comme une légitimation des meurtres commis, camouflés en « incursion ». Le raisonnement sous-jacent est le suivant : en 1948, Israël a volé le territoire des Palestinien (ce qui n’est pas faux, je précise), donc le Hamas est l’héritier de ceux qui veulent récupérer ces territoires, l’incursion est légitime. Et les victimes civiles sont un détail insignifiant.

Résister à l’oppression, y compris par le meurtre de civils?

Le deuxième paragraphe poursuit dans cette confusion. Il rappelle d’abord la réalité et la dureté de l’oppression israélienne, que je ne conteste pas. Puis il est écrit :

« Comme toute autre population sous occupation coloniale et apartheid, les Palestinien-ne-s ont le droit de résister, y compris par des moyens militaires. »

Évidemment, une fois qu’on a camouflé des actes barbares en opération militaire, il est facile d’écrire que les opprimés ont le droit de résister. Or cela fait 40 ans que les Palestiniens résistent. Le simple fait d’exister et de survivre dans les territoires occupés et à Gaza est un acte de résistance. Obtenir des soutiens internationaux pour les écoles, les hôpitaux, l’énergie, sont des actes de résistance. Est-ce que l’assassinat indiscriminé de civils désarmés constitue un acte de résistance légitime contre une oppression ? Le parti SolidaritéS serait bien en peine de répondre clairement à cette question puisque son communiqué édulcore totalement la réalité de ce qui s’est produit sur le terrain. Pour moi, vous l’aurez compris, la réponse est non.

Comme l’écrit Camus dans « L’Homme révolté », «nous ne saurons rien tant que nous ne saurons pas si nous avons le droit de tuer cet autre devant nous ou de consentir qu’il soit tué. (…) Le meurtre est la question. » Ici la question est : les militants de SolidaritéS pensent-ils vraiment que les troupes du Hamas avaient le droit d’assassiner des civils désarmés et consentent-il à ce que ces civils soient tués ? Pourraient-ils, eux, commettre ces meurtres en pensant sérieusement faire avancer la cause de la libération ? Car s’il est admissible de prendre les armes contre un oppresseur, aucun libérateur n’a jamais théorisé que la violence armée pouvait s’exercer de manière indiscriminée contre des civils désarmés. Ou, s’il l’a fait en se présentant comme un libérateur, l’Histoire a très vite tranché : ce libérateur n’est qu’un assassin, un génocidaire. C’est toute la différence entre Pol Pot et Mandela.

Invoquer Nelson Mandela pour dédouaner le Hamas

Implicite dans la première version du communiqué, la référence à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et à Nelson Mandela est explicite dans la « version allongée » du 12 octobre.

Il vaut la peine de citer ce paragraphe en entier :

« Comme le rappelait Nelson Mandela, évoquant ses négociations avec le régime d’apartheid sud-africain et ses demandes d’arrêter la violence : « Je répondais que l’État était responsable de la violence et que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense ».

Cette citation renforce la rhétorique sous-jacente à tout le communiqué. Le parti explique au militant éventuellement tenté de se poser des questions sur le mode d’action du Hamas que ce qu’il a fait est légitime, puisque l’opprimé n’a parfois pas d’autre choix que d’utiliser la violence. Mieux, que l’oppresseur (Israël) a en quelque sorte imposé au Hamas son mode d’action et in fine que si ces pauvres gens ont été assassinés ou kidnappés, la faute n’en revient pas aux assassins et aux kidnappeurs mais à l’Etat oppresseur.

Ce qu’il faudrait comprendre, donc, selon cette logique, c’est que l’assassinat méthodique de centaines de civils et la prise de plus de 200 otages ne serait qu’une forme de « légitime défense » du peuple palestinien opprimé. Il est difficile de trouver une argumentation plus perverse, un détournement aussi grossier de la réalité historique à des fins idéologiques.

Cet argument d’autorité – quoi de plus indiscutable que la figure tutélaire Mandela – évacue complètement le contexte et la trajectoire de Mandela dans laquelle la violence n’a jamais signifié une lutte à mort contre des civils, mais seulement un moyen de forcer l’adversaire au dialogue.

Tant qu’à faire citons une autre phrase de Nelson Mandela :

« Il est très facile de casser et de détruire. Les héros, ce sont ceux qui font la paix et qui bâtissent. »

Une novlangue pour camoufler l’indicible

Que reste-t-il à négocier avec un ennemi qui a massacré des civils désarmés ? Quelle paix peut-elle naître après ces actes ? L’extrême-gauche s’insurge sans relâche contre les violences faites aux opprimés et réclame justice et humanité. De quelle justice et de quelle humanité les massacres commis par le Hamas sont-ils le nom ?

Une phrase du communiqué répond en apparence à cette préoccupation :

« Le soutien à ce droit ne doit cependant pas être confondu ni avec l’appui aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens, y compris le Hamas, ni avec des actions militaires visant des civils israéliens. »

Cette formulation est toutefois trop alambiquée pour être honnête. Il faut comprendre que le soutien de SolidaritéS n’est pas un soutien aux buts politiques des partis palestiniens, ni un soutien aux buts politiques du Hamas, ni un soutien au massacre de civils. Sauf que. Sauf que, là encore, le langage euphémise dangereusement les actes du Hamas. Un massacre aveugle est nommé « action militaire visant des civils ». Or, on l’a vu, tout peuple opprimé à le droit inaliénable de se défendre, y compris militairement. Si ces massacres sont une « action militaire », elles sont ipso facto légitimes. C’est ce qui n’est pas dit, mais c’est bien ce que ça dit.

C’est peut-être pourquoi la version corrigée (dite pudiquement « allongée ») donne ceci : « Comme toute autre population sous occupation coloniale et/ou en situation d’apartheid, les Palestinien·ne·s ont le droit de résister, y compris par des moyens militaires. Le soutien à ce droit ne doit cependant pas être confondu ni avec l’appui aux perspectives politiques des différents partis politiques palestiniens, y compris le Hamas, ni avec des actions militaires visant au meurtre de manière indiscriminée de nombreux civil·e·s israélien·ne·s. »

Entre le 10 et le 12 octobre, la première formulation a sans doute choqué d’autres personnes que votre serviteur. Le parti a donc corrigé le tir. Le meurtre de civils est cette fois, non pas condamné, il ne faudrait pas trop en demander, mais n’est plus « confondu » avec des « actions militaires menant au meurtre ». La tournure est encore plus alambiquée, mais cette novlangue pâteuse ne dissimule même pas qu’elle sert de camouflage. La première version était brutale, la seconde est finalement encore pire car elle évacue le sujet : le coupable des meurtres, c’est une abstraction nommée « action militaire », une action qui, comme par mégarde, « mène au meurtre de civils». On fait difficilement plus abominable.

Les meurtres de civils sont impardonnables

Que penser des juifs d’ici, totalement effondrés par ce qui arrive aux juifs de là-bas ?

Un parti de gauche, solidaire de la lutte des Palestiniens et par ailleurs au clair sur l’antisémitisme, peut-il, après ce qui s’est produit, se contenter d’aligner les « vérités historiques » en effaçant les victimes civiles d’un acte de barbarie ? Évidemment, non.

Le plus choquant dans ce communiqué, outre la perversion de sa construction et l’euphémisation des faits, c’est l’absence totale d’empathie pour les victimes civiles israéliennes.

Avec ce communiqué, SolidaritéS s’est définitivement aliéné toutes les sympathies qu’il pouvait encore avoir au sein de la communauté juive helvétique, fût-elle progressiste et favorable à l’instauration d’une paix durable. Celle-ci ne peut le lire autrement que comme un soutien à des actes inhumains, unanimement condamnés sur le plan international, sauf par les dictatures islamiques et, malheureusement, par la rue dans les pays musulmans. Mais depuis quand la haine aveugle sert-elle de guide politique à un mouvement qui se veut le fer de lance de la justice sociale et le parangon de la vertu révolutionnaire ?

Ce même 10 octobre, le mouvement français JJR (Juives et juifs révolutionnaires) a publié, lui, un communiqué d’une autre tenue que je vous encourage à lire. Le même mouvement condamne d’ailleurs sans ambiguïté, le 13 octobre, les bombardements indiscriminés de Gaza. Il nomme ces bombardements « massacre » et non « action militaire menant au meurtre de civils ».

De même, l’entretien avec la sociologue Eva Illouz, paru dans Le Monde du 17 octobre, est capital.

1 commentaire

  1. Bonjour,
    Je viens de prendre connaissance de la critique que formule Léo Bysaeth des communiqués de solidaritéS. Et je partage cette critique, et je précise que je suis membre de solidaritéS.
    Hélas, ces communiqués ne sont pas une incongruité. Ils participent d’une vision largement répandue à gauche qui réduit Israël et la politique qu’a menée son Etat aux événements des trente dernières années.
    La période est assez longue, certes, et les jeunes générations militantes sont bien ignorantes de l’histoire juive et de l’histoire du Moyen-Orient.
    Mais tou.tes ne sont pas jeunes: il est peu discutable qu’ont opéré un refus ou une incapacité à transmettre l’histoire.
    Pourquoi? Le long crépuscule que nous subissons n’aide pas à la compréhension. Il a suivi ces 30 glorieuses qui ont tourné la page de la barbarie et ont oublié l’histoire déchirée des peuples européens entre 1914 et 1948.
    Theodor Herzl, en 1897, n’a pas proposé le sionisme parce qu’il était colonialiste. Il cherchait une parade à l’antisémitisme meurtrier dont il constatait l’existence et pressentait l’horreur à venir.
    Mais le sionisme était si minoritaire dans le monde juif de son époque! C’est vers le socialisme que se tournaient les larges masses juives. Et on sait ce qu’il advint du socialisme avec les contre-révolutions qui ont ravagé notre continent de 1919 à 1938. Et on sait ce qu’il advint de ces larges masses juives: leur socialisme disparut avec leurs corps dans les fosses communes et les chambres à gaz.
    Hélas, l’extrême-gauche largement issue de la jeunesse soixante-huitarde, nourrie de la geste anti coloniale, n’a jamais voulu se pencher sur ces traces.
    Les massacres génocidaires en cours à Gaza et la brutalité coloniale déchaînée en Cisjordanie obligent à changer de posture ou à assister sonnés aux horreurs à venir. Obligent à s’engager enfin et sérieusement contre toutes les formes du racisme, contre l’antisémitisme, contre l’islamophobie.

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