Paysages de l’Auxois, sur le mode spinoziste


Il n’y pas de beaux paysages: il n’y a que des paysages qui nous touchent parce qu’ils nous donnent le désir de les vivre : s’y immerger, y habiter et y revenir. Tel est la partie de l’Auxois entre les deux vallées de l’Armançon et de la Brenne, près du délicieux petit village de Beurizot où nous avons vécu deux semaines.

Dans le département de la Côte-d’Or, l’Auxois est notamment connu par le site d’Alesia, l’abbaye cistercienne de Fontenay et le village de Flavigny où est produit le fameux bonbon à l’anis. Entre Pouilly et Semur on traverse la vallée de l’Armançon quand on va par l’autoroute au nord de la France.

Des prairies où paissent des vaches charolaises, des haies d’arbres encore préservées, des villages au creux des vallées, ou sur leurs flancs (ici, sur la seconde image, Vitteaux)

Et surtout ces collines ondulantes qu’on franchit à vélo pour aller d’une vallée à l’autre.

Ce paysage est doux : douceur belle à l’oeil et à notre corps qui fait l’effort de pousser sur la pédale; douceur apaisante pour l’esprit.

Dans ce sens, on pourrait dire que tout paysage est spinoziste. Quand Spinoza écrit que «l’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses », il veut dire qu’aucun de ces domaines n’est cause ni effet de l’autre. « Les rapports de l’esprit et du corps sont des rapports d’équivalence et non des relations de causalité.» (Robert Misrahi, 100 mots sur l’Éthique de Spinoza, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005)

Devant un paysage, l’esprit n’existe pas sans le corps puisque pour Spinoza l’esprit est l’idée du corps; en outre il ne peut impliquer aucune idée ou aucun désir qui exclurait l’existence de ce corps. (« Une idée qui exclurait l’existence de notre corps ne peut se trouver en notre esprit, mais lui est contraire.» Éthique, III,10).

La notion commune de la douce France, si célèbre depuis le poème de du Bellay, Heureux qui comme Ulysse, est donc impossible à formuler sans notre corps, qui voit un paysage, le parcourt à pied, s’y immerge. Y vit.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.

Douceur auxoise, douceur chauxoise …

3 commentaires

  1. Charmant et attachant pays vallonné. « L’ordre et la connexion des choses » correspondent bien à beaucoup de paysages français. L’esprit ? l’esprit est bien plus que l’idée du corps, et bien d’autre choses. C’est ouvrir un débat dans lequel vous excellerez, je pense.

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