Dimanche 1er mai avait lieu à Glaris la première Landsgemeinde post-pandémie. Une occasion de plonger dans les originalités de ce canton surprenant où le souverain a voté une acceptation d’une hausse d’impôts, refusé la privatisation de sa banque cantonale et donné une chance à un dimanche sans voiture dans la vallée du Klöntal !
Avec ses quarante mille habitants, ce canton de trois grandes communes est constitué autour de la grande vallée de la Linth. Il incarne la République rousseauiste rêvée dans Le Contrat social : « Le Souverain nʼayant dʼautre force que la puissance législative, nʼagit que par des lois et les lois nʼétant que des actes authentiques de la volonté générale, le Souverain ne saurait agir que quand le peuple est assemblé. Le peuple assemblé, dira-t-on, quelle chimère ! Cʼest une chimère aujourdʼhui [en 1762], mais ce nʼen était pas une il y a deux mille ans. »
Et ce n’en est pas une aujourd’hui où l’on peut vérifier la significatif concept de la transparence chez Rousseau mis en avant par Jean Starobinski. Dans le souverain, le peuple assemblé, il y « autant de membres que lʼassemblée a de voix ».
Ce peuple, dans la transparence du lien entre lui et son gouvernement, entre chacun des membres et les autres, reçoit dans une Lansdgemeinde ce que Rousseau désigne comme « son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté ». D’où l’émotion ressentie au moment où il jure de respecter sa propre loi au début de l’assemblée.(« Ich schwöre es« ) en levant la main droite.

À l’opposé que ce que nous offre ce printemps la pitoyable France et sa personnalisation de la politique, ses invectives, ses petites phrases creuses, les débats dans une Landsgemeinde se déroulent dans l’écoute, la parole possible pour tous, le respect des autorités – donc de soi-même et le vote souverain à main levée.
Chaque premier dimanche de mai, tout commence devant le Parlement cantonal par l’arrivée en petits groupes des corps constitués : les groupes parlementaires, les membres des différents tribunaux cantonaux, le gouvernement et SA Landamann, les invités des autres cantons et même la Conseillère fédérale Viola Amherd.

La Grand-Place est aménagée en une grande ellipse réservée aux porteurs d’une carte jaune qu’il faut présenter sans trop de contrôle à un Sécuritas. Le public non glaronnais se tient sur deux estrades aux extrémités de l’ellipse. Dans l’enceinte, pas de boisson ni de nourriture, pas de smartphones ni de banderoles ni de bavardages.


Les deux premiers des dix-sept points à l’ordre du jour ont vu l’élection par des levers de main du nouveau Landamann, le président du gouvernement, en fonction pour deux ans, et des autorités judiciaires. Les personnes proposées furent confirmées par le peuple mais il est toujours possible de proposer un autre candidat.


Plusieurs objets sont ratifiés sans vote puisqu’aucun débat n’est demandé. Ainsi les nouvelles lois sur la protection du climat, la formation musicale, le commerce des boissons alcoolisées, les congés parentaux. Mais un·e citoyen·ne qui se serait annoncé·e pourrait exiger un vote et argumenter contre la position du parlement qui a débattu de la loi.
Trois objets furent l’objet de discussions et amenèrent les trois des résultats qui m’ont surpris.
D’abord l’augmentation de cinq points (de 53 à 58) de la quotité des impôts cantonaux. La représentante de l’UDC a eu beau invoquer la pandémie, l’augmentation des prix de l’énergie et des biens de première nécessité, elle eut contre elle une citoyenne, le président de la commission des finances et le Conseiller d’Etat responsable des finances. Finances plombées par un déficit de huit millions : des soucis pour assumer notamment les frais des soins à domicile et des aides aux personnes proches aidantes. Pas de problèmes pour le Landamann dans l’analyse visuelle de bulletins jaunes levées : une majorité en faveur du gouvernement après relevée de mains !
Ce ne fut pas le cas dans le vote suivant. Le gouvernement, le parlement, les milieux financiers et économiques voulaient modifier la Constitution en restreignant le rôle du canton dans le contrôle de sa banque cantonale : devenir un actionnaire minoritaire et, d’une certaine manière, privatiser la banque. Le peuple a ici donné raison à la minorité socialiste et vert’libérale.


Le débat le plus long a concerné l’initiative des Jeunes Verts « Slow Sundays » : huit dimanches sans voitures entre juin et septembre dans la pittoresque vallée du Klöntal qui relie Glaris à Schwyz. Ma méconnaissance du schwyzerdütsch m’a empêché de vraiment bien comprendre le débat dans ses détails mais la vidéo suivante de presque cinq minutes montre les votes à main levée successifs : refus des huit dimanches au profit d’un amendement pour quatre, amendement lui-même recueillant moins qu’autre pour un seul dimanche. Et finalement le gouvernement battu : il voulait que tout dimanche soit refusé alors que le peuple a souhaité renvoyer la proposition en commission. Le dernier vote était si serré que le Landamann a demandé à ses quatre autres collègues de scruter les quatre côtés de l’assemblée qui a dû lever la mains une seconde fois. C’était oui au renvoi en commission, décision accueillie avec joie par le jeune public massé au fond de l’image !
Un canton « primitif » qui n’a plus que trois communes (Glaris-Nord, Glaris, Glaris-Sud), qui accorde le droit de vote à seize ans et qui accepte une hausse d’impôts tout en conservant SA banque cantonale. Des avancées novatrices pour le futur !


Vive donc Glaris et sa démocratie nourrissante ! Comme sa traditionnelle saucisse de veau à la sauce aux oignons, avec sa purée de pommes de terre et ses pruneaux : un plat traditionnel de Landsgemeinde dégusté vers quatorze heures au restaurant Raben de Linthal où je logeais ! Avec une Adler de Schwangen ! Je recommande d’ailleurs cet hôtel-restaurant familial au pied du col du Klausen, qui mène à Altdorf dans le canton d’Uri.
