L’élection du Grand Conseil neuchâtelois le 18 avril 2021 est à très hauts risques car le nouveau mode de répartition des sièges pourrait théoriquement amener à des disparités régionales inattendues. Mes deux hypothèses (les trois grands partis cantonaux avec 2 sièges chacun dans les Montagnes ; les Vallées avec 9 députés) sont ici présentées pour démontrer les effets potentiels de déséquilibre régional induit par le nouveau système.
Introduction
Dans Typhons sur l’Hôtel de Ville, j’avais inventé une fiction délirante poussant aux extrêmes des situations politiques possibles. Cet article-ci n’a aucune valeur autre que d’essayer d’expliquer par une voie pédagogique le nouveau système électoral. On me pardonnera d’utiliser le masculin pour éviter les lourdeurs épicènes.
La réforme du mode d’élection et de répartition fut acceptée par le peuple le 24 septembre 2017 à près de 58 % : suppression des six districts, mise en place d’une circonscription électorale unique et réduction du nombre de députés, de 115 à 100. Je m’y étais opposé et maintenant qu’on est à six semaines de la future élection, j’en perçois encore davantage les problèmes possibles pour les Montagnes et les vallées.
Selon la parole cantonale officielle, cette réforme « prend largement en compte la nécessité de garantir l’unité du canton par le respect de ses spécificités régionales, et d’une équité de leur traitement. Un canton uni, mais fort de ses différences. C’est le sens de l’introduction dans la législation, de la notion de régions électorales (Littoral, Montagnes, Val-de-Ruz, Val-de-Travers). Elles ne remplacent pas les districts, n’ont pas comme eux le statut de division territoriale. Mais elles garantissent une représentation minimale de chacun au Grand Conseil (équivalant à la moitié des sièges qu’elle obtiendrait sur la base d’une répartition proportionnelle), avec un système de sièges garantis (quatre au minimum), quelle que soit l’évolution de la population à futur. »
Ainsi selon l’article 44 de la loi sur les droits politiques, le nombre de sièges est garanti à chaque région électorale selon les règles suivantes : la population résidente du canton est divisée par 50. Le nombre entier immédiatement supérieur au dividende obtenu constitue le quotient et chaque région a droit à un nombre de sièges garantis équivalent à sa population de résidence divisée par le quotient, le dividende ainsi obtenu étant arrondi à l’unité supérieure ; chaque région dont la population de résidence est inférieure à 4 fois le premier quotient a droit à quatre sièges garantis, ce qui est le cas du Val de Travers. Les sièges garantis sont attribués à des candidat-e-s domicilié-e-s dans la région électorale concernée.
Le 18 avril, la répartition garantie se présente ainsi.
Sur plus de 500 candidats, combien sont-ils au courant du système électoral qui leur permettrait d’être élus ? Il est très compliqué si bien que je me suis attelé à construire un scénario peu probable, mais théoriquement possible : 16 députés seulement pour les Montagnes avec les trois grands partis cantonaux (PLR, PS, Verts) laminés, 5 députés pour Val de Ruz et 4 pour le Val de Travers, ces derniers repêchés après une première répartition.
Jusqu’à aujourd’hui, les Montagnes avaient droit à 35 élus et le Val de Travers à 8, sur 115. Comment pourrait-on arriver au minimum seulement rendu possible par la loi (15 et 4) ?
Hypothèses et prémisses
Mes deux hypothèses (les trois grands partis cantonaux avec 2 sièges chacun dans les Montagnes ; les Vallées avec 9 députés) reposent sur des prémisses assez farfelues mais théoriquement possibles. Elles m’ont aidé à construire mon tableau ci-joint et téléchargeable en version PDF. Il code à dessein le nom des élus afin de rester dégagé de toute personnalisation. Voici ces 5 prémisses :
- un biffage important des candidats des autres régions par les électeurs d’une région souhaitant soutenir ses candidats ;
- une augmentation très importante du vote nominal sur la liste sans dénomination, favorisant ainsi les candidats provenant de la région la plus peuplée ;
- une bonne tenue des partis qui n’ont pas présenté des listes de cent candidats (POP, VL, UDC, Centre) ; ces listes sont bloquées et rendent impossible l’ajout de candidats d’autres partis ;
- la disparition de Solidarités, qui n’arrive pas à recueillir le 3 % des suffrages ;
- l’égalité finale gauche-droite (50-50)
Ainsi, j’ai essayé, à partir de la liste des candidat-e-s disponible ici, de construire ce tableau comprenant les résultats des partis et le score de leurs élus, codés comme il se doit.
La répartition des sièges par parti
Mon scénario (PLR 26, Verts 23, PS 20, Vert’libéraux 11, UDC 9, POP 7, Centre 4) repose sur quelques intuitions :
- Le PLR devrait rester le premier parti et reprendre du poil de la bête avec ses 100 candidat-e-s dont la trentaine de femmes figurent en tête de sa liste. À droite, il représente une stabilité non garantie par les autres partis, nouveau (VL) ou à la recherche d’une nouvelle identité (Centre, UDC).
- Les Verts continueraient leur poussée, confirmée par les récentes élections cantonales et communales dans les cantons de Vaud, Fribourg et Valais. Ils devraient ainsi au moins conserver leur avance acquise lors des dernières élections fédérales de 2019 et communales de 2020. Leur choix de construire leur liste de 100 candidats en mettant en tête les députés sortants et les jeunes pourrait être cruel pour les « vieux », relégués dans les vingt dernières places.
- Le PS limiterait les dégâts s’il se maintenait au-dessus de 20 %, au vu de sa baisse commencée en octobre 2019. Sa liste de 100 candidats est purement alphabétique avec 51 femmes et 49 hommes.
- Les Vert’libéraux très bien implantés sur le Littoral pourraient faire un carton, portés par leurs deux candidates au Conseil d’Etat et leur dynamisme sur les réseaux sociaux. Ils présentent 76 candidats.
- En ces temps de crise et malgré ses minces 22 candidats, l’UDC pourrait bénéficier d’un vote protestataire au nom de la prétendue liberté bafouée par les « dictateurs » du Conseil fédéral.
- Le POP pourrait faire le plein de voix dans le Haut avec ses quatre jeunes candidats au gouvernement qui vont tirer la liste des 52 autres dans tout le canton.
- Le nouveau Centre est une des inconnues de cette élection, avec des candidates-transfuges (une ancienne UDC, une ancienne Popiste, une ancienne Verte) sur une liste de 57 candidats.
La répartition des sièges par région
Je pousse à l’extrême ce que la loi rend possible, à savoir le Val-de-Ruz avec 5 députés seulement et les Montagnes avec 16 élus. Le paradoxe de mon scénario (j’en conviens à la limite du possible) est que les trois grands partis cantonaux qui représentent les deux tiers des suffrages globaux n’auraient dans les Montagnes qu’un tiers de députés (6 sur 16). Dans ce cas de figure, le POP, implanté fortement au Locle et à La Chaux-de-Fonds, ainsi que les petits partis (UDC, Centre) tireraient leur épingle du jeu.
Cette fiction farfelue devrait, dans les régions périphériques potentiellement défavorisées, nous inciter à voter en utilisant la liste sans dénomination. On y inscrit le nom d’une série de candidats de notre choix et on attribue le reste des cent suffrages à notre disposition au parti que l’on souhaite soutenir. On peut aussi ne voter que pour 10 personnes sans utiliser les 90 suffrages restants. C’est la seule manière pour un candidat d’être élu : recevoir des suffrages complémentaires sans être trop tracé sur la liste de son propre parti. C’est aussi la façon la plus simple pour un électeur de faire des choix personnalisés.
Le cas du Val-de-Travers, sans député après la première répartition
Nous voici au cœur de la loi kafkaïenne dans sa complexité, sûrement celle du système électoral le plus compliqué de Suisse. L’article 44 s’occupe de régler la répartition des sièges.
Elle se fait selon le système proportionnel sur l’ensemble du canton. Mon scénario imagine que le Val-de-Travers n’obtient pas autant d’élus qu’il a de sièges garantis, en l’occurrence 4. Dans cette région désignée par la loi comme « déficitaire », ces 4 sièges garantis inoccupés seraient pourvus selon les règles suivantes :
- On identifie les 7 listes de partis comportant au moins un vient-ensuite domicilié dans la région déficitaire et au moins un élu provisoire domicilié dans une autre région (dans mes exemples des viennent-ensuite du Littoral et des Montagnes).
- Pour chacune de ces 7 listes, le nombre de suffrages du premier des viennent-ensuite de VDT est divisé par le nombre de suffrages de l’élu provisoire de la même liste qui a obtenu le moins de suffrages; ainsi le nombre de suffrages du PLR VUM, candidat de VDT classé 34e de la liste cantonale (49750) est divisé par le nombre de suffrages du PLR YXW, candidat de Neuchâtel classé 26e de la liste (50180). On obtient un chiffre, appelé dividende : 0,9914 (il est indispensable de se référer à mon tableau servant à expliquer le système).
- Les 4 viennent-ensuite de VDT ayant obtenu les plus forts dividendes (0,9991; 0,9990 ;0.9666 ; 0,9914) sont élus, garantissant ainsi un siège à l’UDC, au POP, au PS et au PLR.
Conclusion
En vertu de ce nouveau système de répartition, les candidats de toutes les régions devraient être conscients que sans des suffrages qui leur sont attribués sur des listes d’autres partis ou sur la liste sans dénomination, ils n’ont aucune chance d’être élus. À eux de faire jouer leurs amitiés, leurs relations et leurs réseaux pour convaincre des électeurs de les gratifier d’un suffrage.
Cette tactique contredit le purisme solidaire – et solitaire – des partis de gauche qui répugnent à voir leurs candidats engager des campagnes personnelles.
Merci pour ton analyse et tes explications. C’est toujours un plaisir de te lire avant les élections!
C’est gentil Sarah. Je suis content d’avoir codé les noms ! Ce sera le seul article !