Au fil des jours du coronavirus, j’ai relu, par petits bouts, La Peste d’Albert Camus, publié en 1947. Le début de l’épidémie à Oran, largement déniée ou sous-estimée, est décrit avec d’immenses résonances actuelles. Puis le pic, le palier et la fin provisoire de l’épidémie, dans une lucidité humaniste incomparable.
Voici, en ces semaines d’avril 2020, quelques extraits majeurs de ce chef-d’oeuvre, tiré des Editions du Livre de Poche, 1970.
1. La mort du concierge, il est possible de le dire, marqua la fin de cette période remplie de signes déconcertants et le début d’une autre, relativement plus difficile, où la surprise des premiers temps se transforma peu à peu en panique. Nos concitoyens, ils s’en rendaient compte désormais, n’avaient jamais pensé que notre petite ville pût être un lieu particulièrement désigné pour que les rats y meurent au soleil et que les concierges y périssent de maladies bizarres. De ce point de vue, ils se trouvaient en somme dans l’erreur et leurs idées étaient à reviser. Si tout s’était arrêté là, les habitudes sans doute l’eussent emporté. (page 21)
2. Le mot de « peste » venait d’être prononcé pour la première fois. À ce point du récit qui laisse Bernard Rieux derrière sa fenêtre, on permettra au narrateur de justifier l’incertitude et la surprise du docteur, puisque, avec des nuances, sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens. Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. Le docteur Rieux était dépourvu, comme l’étaient nos concitoyens, et c’est ainsi qu’il faut comprendre ses hésitations. C’est ainsi qu’il faut comprendre aussi qu’il fut partagé entre l’inquiétude et la confiance. Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c’est trop bête. » Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. » Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes, en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n’étaient pas plus coupables que d’autres, ils oubliaient d’être modestes, voilà tout, et ils pensaient que tout était encore possible pour eux, ce qui supposait que les fléaux étaient impossibles. Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux. (page 32)
3. Deux ou trois médecins s’exclamèrent. Les autres semblaient hésiter. Quant au préfet, il sursauta et se retourna machinalement vers la porte, comme pour vérifier qu’elle avait bien empêché cette énormité de se répandre dans les couloirs. Richard déclara qu’à son avis, il ne fallait pas céder à l’affolement : il s’agissait d’une fièvre à complications inguinales, c’était tout ce qu’on pouvait dire, les hypothèses, en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses. Le vieux Castel, qui mâchonnait tranquillement sa moustache jaunie, leva des yeux clairs sur Rieux. Puis il tourna un regard bienveillant vers l’assistance et fit remarquer qu’il savait très bien que c’était la peste, mais que, bien entendu, le reconnaître officiellement obligerait à prendre des mesures impitoyables. Il savait qué c’était, au fond, ce qui faisait reculer ses confrères et, partant, il voulait bien admettre pour leur tranquillité que ce ne fût pas fa peste. Le préfet s’agita et déclara que, dans tous les cas, ce n’était pas une bonne façon de raisonner. (page 41)
4. Richard souligna que cela autorisait les hésitations et qu’il faudrait attendre au moins le résultat statistique de la série d’analyses, commencée depuis quelques jours.
« Quand un microbe, dit Rieux, après un court silence, est capable en trois jours de temps de quadrupler le volume de la rate, de donner aux ganglions mésentériques le volume d’une orange et la consistance de la bouillie, il n’autorise justement pas d’hésitations. Les foyers d’infection sont en extension croissante. A l’allure où la maladie se répand, si elle n’est pas stoppée, elle risque de tuer la moitié de la ville avant deux mois. Par conséquent, il importe peu que vous l’appeliez peste ou fièvre de croissance. Il importe seulement que vous l’empêchiez de tuer la moitié de la ville. »
Richard trouvait qu’il ne fallait rien pousser au noir et que la contagion d’ailleurs n’était pas prouvée puisque les parents de ses malades étaient encore indemnes.
« Mais d’autres sont morts, fit remarquer Rieux. Et, bien entendu, la contagion n’est jamais absolue, sans quoi on obtiendrait une croissante mathématique infinie et un dépeuplement foudroyant. Il ne s’agit pas de rien pousser au noir. Il s’agit » de prendre des précautions. » (page 42)
5. Le lendemain de la conférence, la fièvre fit encore un petit bond. Elle passa même dans les journaux, mais sous une forme bénigne, puisqu’ils se contentèrent d’y faire quelques allusions. Le surlendemain, en tout cas, Rieux pouvait lire de petites affiches blanches que la préfecture avait fait rapidement coller dans les coins les plus discrets de la ville. Il était difficile de tirer de cette affiche la preuve que les autorités regardaient la situation en face. Les mesures n’étaient pas draconiennes et l’on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l’opinion publique. L’exorde de l’arrêté annonçait, en effet, que quelques cas d’une fièvre pernicieuse, dont on ne pouvait encore dire si elle était contagieuse, avaient fait leur apparition dans la commune d’Oran. Ces cas n’étaient pas assez caractérisés pour être réellement inquiétants et il n’y avait pas de doute que la population saurait garder son sang-froid. Néanmoins, et dans un esprit de prudence qui pouvait être compris par tout le monde, le préfet prenait quelques mesures préventives. Comprises et appliquées comme elles devaient l’être, ces mesures étaient de nature à arrêter net toute menace d’épidémie. En conséquence, le préfet ne doutait pas un instant que ses administrés n’apportassent la plus dévouée des collaborations à son effort personnel. (page 44)
6. A partir de ce moment, il est possible de dire que la peste fut notre affaire à tous. Jusque-là, malgré la surprise et l’inquiétude que leur avaient apportées ces événements singuliers, chacun de nos concitoyens avait poursuivi ses occupations, comme il l’avait pu, à sa place ordinaire. Et sans doute, cela devait continuer. Mais une fois les portes fermées, ils s’aperçurent qu’ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac et qu’il fallait s’en arranger. C’est ainsi, par exemple, qu’un sentiment aussi individuel que celui de la séparation d’avec un être aimé devint soudain, dès les premières semaines, celui de tout un peuple, et, avec la peur, la souffrance principale de ce long temps d’exil. Une des conséquences les plus remarquables de la fermeture des portes fut, en effet, la soudaine séparation où furent placés des êtres qui n’y étaient pas préparés. Des mères et des enfants, des époux, des amants qui avaient cru procéder quelques jours auparavant à une séparation temporaire, qui s’étaient embrassés sur le quai de notre gare avec deux ou trois recommandations, certains de se revoir quelques jours ou quelques semaines plus tard, enfoncés dans la stupide confiance humaine, à peine distraits par ce départ de leurs préoccupations habituelles, se virent d’un seul coup éloignés sans recours, empêchés de se rejoindre ou de communiquer. Car la fermeture s’était faite quelques heures avant que l’arrêt préfectoral fût publié, et, naturellement, il était impossible de prendre en considération. (page 54)
7. Malgré ces spectacles inaccoutumés, nos concitoyens avaient apparemment du mal à comprendre ce qui leur arrivait. Il y avait les sentiments communs comme la séparation ou la peur, mais on continuait aussi de mettre au premier plan les préoccupations personnelles. Personne n’avait encore accepté réellement la maladie. La plupart étaient surtout sensibles à ce qui dérangeait leurs habitudes ou atteignait leurs intérêts. Ils en étaient agacés ou irrités et ce ne sont pas là des sentiments qu’on puisse opposer à la peste. Leur première réaction, par exemple, fut d’incriminer l’administration. La réponse du préfet en présence des critiques dont la presse se faisait l’écho (« Ne pourrait-on envisager un assouplissement des mesures envisagées? ») fut assez imprévue. Jusqu’ici, ni les journaux ni l’agence Ransdoc n’avaient reçu communication officielle des statistiques de la maladie. Le préfet les communiqua, jour après jour, à l’agence, en la priant d’en faire une annonce hebdomadaire. Là encore, cependant, la réaction du public ne fut pas immédiate. En effet, l’annonce que la troisième semaine de peste avait compté trois cent deux morts ne parlait pas à l’imagination. D’une part, tous peut- être n’étaient pas morts de la peste. Et, d’autre part, personne en ville ne savait combien, en temps ordinaire, il mourait de gens par semaine. La ville avait deux cent mille habitants. On ignorait si cette proportion de décès était normale. C’est même le genre de précisions dont on ne se préoccupe jamais, malgré l’intérêt évident qu’elles présentent. Le public manquait, en quelque sorte, de points de comparaison. (page 63)
8. Les gens avaient d’abord accepté d’être coupés de l’extérieur comme ils auraient accepté n’importe quel ennui temporaire qui ne dérangerait que quelques-unes de leurs habitudes. Mais, soudain conscients d’une sorte de séquestration, sous le couvercle du ciel où l’été commençait de grésiller, ils sentaient confusément que cette réclusion menaçait toute leur vie et, le soir venu, l’énergie qu’ils retrouvaient avec la fraîcheur les jetait parfois à des actes désespérés. Tout d’abord, et que ce soit ou non par l’effet d’une coïncidence, c’est à partir de ce dimanche qu’il y eut dans notre ville une sorte de peur assez générale et assez profonde pour qu’on pût soupçonner que nos nos concitoyens commençaient vraiment à prendre conscience de leur situation. De ce point de vue, l’atmosphère de notre ville fut un peu modifiée. Mais, en vérité, le changement était-il dans l’atmosphère ou dans les cœurs, voilà la question. (page 81)
9. « Que pensez-vous du prêche de Paneloux, docteur ? »
La question était posée naturellement et Rieux y répondit naturellement.
« J’ai trop vécu dans les hôpitaux pour aimer l’idée de punition collective. Mais, vous savez, les chrétiens parlent quelquefois ainsi, sans le penser jamais réellement. Ils sont meilleurs qu’ils ne paraissent.
– Vous pensez pourtant, comme Paneloux, que la peste a sa bienfaisance, qu’elle ouvre les yeux, qu’elle force à penser! »
Le docteur secoua la tête avec impatience.
« Comme toutes les maladies de ce monde. Mais ce qui est vrai des maux de ce monde est vrai aussi de la peste. Cela peut servir à grandir quelques-uns. Cependant, quand on voit la misère et la douleur qu’elle apporte, il faut être fou, aveugle ou lâche pour se résigner à la peste. » (page 101)
10. Ainsi, à longueur de semaine, les prisonniers de la peste se débattirent comme ils le purent. Et quelques- uns d’entre eux, comme Rambert, arrivaient même à imaginer, on le voit, qu’ils agissaient encore en hommes libres, qu’ils pouvaient encore choisir. Mais, en fait, on pouvait dire à ce moment, au milieu du mois d’août, que la peste avait tout recouvert. Il n’y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était la peste et des sentiments partagés par tous. Le plus grand était la séparation et l’exil, avec tout ce que cela comportait de peur et de révolte. Voilà pourquoi le narrateur croit qu’il convient, à ce sommet de la chaleur et de la maladie, de décrire de façon générale et à titre d’exemple, les violences, de nos concitoyens vivants, les enterrements des défunts et la souffrance des amants séparés. (p. 134)
11. Eh bien, ce qui caractérisait au début nos cérémonies c’était la rapidité ! Toutes les formalités avaient été simplifiées et d’une manière générale la pompe funéraire avait été supprimée. Les malades mouraient, loin de leur famille et on avait interdit les veillées rituelles, si bien que celui qui était mort dans la soirée passait sa nuit tout seul et celui qui mourait dans la journée était enterré sans délai. On avisait la famille, bien entendu mais, dans la plupart des cas, celle-ci ne pouvait pas se déplacer, étant en quarantaine si elle avait vécu auprès du malade. Dans le cas où la famille n’habitait pas avec le défunt, elle se présentait à l’heure indiquée qui était celle du départ pour le cimetière, le corps ayant été lavé et mis en bière. (page 139)
12. Et réellement, les feux de joie de la peste brûlaient avec une allégresse toujours plus grande dans le four crématoire. D’un jour à l’autre, le nombre de morts, il est vrai, n’augmentait pas. Mais il semblait que la peste se fût confortablement installée dans son paroxysme et qu’elle apportât à ses meurtres quotidiens la précision et la régularité d’un bon fonctionnaire. En principe, et de l’avis des personnalités compétentes, c’était un bon signe. Le graphique des progrès de la peste, avec sa montée incessante, puis le long plateau qui lui succédait, paraissait tout à fait réconfortant au docteur Richard, par exemple. « C’est un bon, c’est un excellent graphique », disait-il. Il estimait que la maladie avait atteint ce qu’il appelait un palier. Désormais, elle ne pourrait que décroître. (page 188)
13. « C’est pourquoi encore cette épidémie ne m’apprend rien, sinon qu’il faut la combattre à vos côtés. Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. Et qu’il faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d’un autre et à lui coller l’infection. Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter. L’honnête homme, celui qui n’infecte presque personne, c’est celui qui a le moins de distractions possible. Et il en faut de la volonté et de la tension pour ne jamais être distrait ! Oui, Rieux, c’est bien fatigant d’être un pestiféré. Mais c’est encore plus fatigant de ne pas vouloir l’être. C’est pour cela que tout le monde se montre fatigué, puisque tout le monde, aujourd’hui, se trouve un peu pestiféré. Mais c’est pour cela que quelques-uns, qui veulent cesser de l’être, connaissent une extrémité de fatigue dont rien ne les délivrera plus que la mort. » (page 203)
14. Quoique cette brusque retraite de la maladie fût inespérée, nos concitoyens ne se hâtèrent pas de se réjouir. Les mois qui venaient de passer, tout en augmentant leur désir de libération, leur avaient appris la prudence et les avaient habitués à compter de moins en moins sur une fin prochaine de l’épidémie. Cependant, ce fait nouveau était sur toutes les bouches, et, au fond des cœurs, s’agitait un grand espoir inavoué. Tout le reste passait au second plan. Les nouvelles victimes de la peste pesaient bien peu auprès de ce fait exorbitant : les statistiques avaient baissé. Un des signes que l’ère de la santé, sans être ouvertement espérée, était cependant attendue en secret, c’est que nos concitoyens parlèrent volontiers dès ce moment, quoique avec les airs de l’indifférence, de la façon dont la vie se réorganiserait après la peste.
Tout le monde était d’accord pour penser que les commodités de la vie passée ne se retrouveraient pas d’un coup et qu’il était plus facile de détruire que de reconstruire. On estimait simplement que le ravitaillement lui-même pourrait être un peu amélioré, et que, de cette façon, on serait débarrassé du souci le plus pressant. Mais, en fait, sous ces remarques anodines, un espoir insensé se débridait du même coup et à tel point que nos concitoyens en prenaient parfois conscience et affirmaient alors, avec précipitation, qu’en tout état de cause la délivrance n’était pas pour le lendemain. (page 214)
15. La population vécut dans cette agitation secrète jusqu’au 25 janvier. Cette semaine-là, les statistiques tombèrent si bas qu’après consultation de la commission médicale, la préfecture annonça que l’épidémie pouvait être considérée comme enrayée. Le communiqué ajoutait, il est vrai, que, dans un esprit de prudence qui ne pouvait manquer d’être approuvé par la population, les portes de la ville resteraient fermées pendant deux semaines encore et les mesures prophylactiques maintenues pendant un mois. Durant cette période, au moindre signe que le péril pouvait reprendre, « le statu quo devait etre maintenu et les mesures reconduites au-delà ». Tout le monde, cependant, fut d’accord pour considérer ces additions comme des clauses de style et, le soir du 25 janvier, une joyeuse agitation emplit la ville. Pour s’associer à l’allégresse générale, le préfet donna l’ordre de restituer l’éclairage du temps de la santé. Dans les rues illuminées, sous un ciel froid et pur, nos concitoyens se déversèrent alors en groupes bruyants et rieurs. (page 218)
16. Il savait ce que sa mère pensait et qu’elle l’aimait, en ce moment. Mais il savait aussi que ce n’est pas grand-chose que d’aimer un être ou du moins qu’un amour n’est jamais assez fort pour trouver sa propre expression. Ainsi, sa mère et lui s’aimeraient toujours dans le silence. Et elle mourrait à son tour – ou lui – sans que, pendant toute leur vie, ils pussent aller plus loin dans l’aveu de leur tendresse. De la même façon, il avait vécu à côté de Tarrou et celui-ci était mort, ce soir, sans que leur amitié ait eu le temps d’être vraiment vécue. Tarrou avait perdu la partie, comme il disait. Mais lui, Rieux, qu’avait-il gagné ? Il avait seulement gagné d’avoir connu la peste et de s’en souvenir, d’avoir connu l’amitié et de s’en souvenir, de connaître la tendresse et de devoir un jour s’en souvenir. Tout ce que l’homme pouvait gagner au jeu de la peste et de la vie, c’était la connaissance et la mémoire. Peut-être était-ce cela que Tarrou appelait gagner la partie ! (page 233)
17. Mais il savait cependant que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive. Elle ne pouvait être que le témoignage de ce qu’il avait fallu accomplir et que, sans doute, devraient accomplir encore, contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels, tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d’admettre les fléaux, s’efforcent cependant d’être des médecins. Ecoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée.
Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. (fin du roman)
En complément : Articles philosophiques et politiques sur la crise du Coronavirus, dès mars 2020
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