La publication de mon précédent article consacré au bizutage, exercé à la demande, des élèves du Lycée de Rougemont a suscité beaucoup de réactions. Je tiens ici présenter les témoignages de trois personnalités qu’elles ont diffusés sur des profils Facebook dont le mien.
D’abord celui de Matthieu Béguelin, homme de théâtre :
» Pour ma part, ayant fréquenté ledit lycée quand il était encore Gymnase Cantonal, je fus tondu « à la sauvage ». Je ne garde pas un grand souvenir des huit gaillards qui attendaient, ciseaux au clair et tondeuses à la main, sur le quai de gare, que leurs proies arrivent.
Les images des quais de gare, des abords du lycée, du jardin anglais comme des toilettes publiques de la Place Pury jonchés de boucles et mèches me restent en mémoire 25 ans plus tard, non pas comme le signe d’un rituel de passage à un âge adulte, mais comme la preuve que la bêtise et la brutalité pouvaient accompagner la découverte de la liberté.
Par la suite, quand ce fut « à mon tour », je n’ai pas participé au bizutage. Avec d’autres, nous nous y opposions même, raillant les bizuteurs, et publiant notamment dans le journal du bahut un dessin d’un camarade qui faisait un parallèle entre l’accueil dans les camps et celui qu’on réservait aux gymnasiens. Comme ici, l’association de ces deux images fit grincer certains des dents, jugeant un tel rapprochement insultant.
Toujours est-il que, malgré des contextes fort différents évidemment, la tonte participait du même processus d’humiliation et de déshumanisation.
Quand j’ai appris que la nouvelle direction n’avait rien trouvé de mieux inspiré que d’institutionnaliser la pratique, j’avoue que ça m’a laissé pantois. Comment la direction pouvait-elle cautionner une telle pratique et même, l’étendre, puisque désormais, les filles aussi étaient concernées alors qu’auparavant elles étaient épargnées?
La bêtise de cette décision est encore plus féroce quand on lit les arguments de la direction, qui, en organisant elle-même le bizutage s’en rend responsable et se coupe de toute possibilité de sanction. Que le Département de l’Education n’y ait rien trouvé à redire ne cesse de me surprendre.
Il est grand temps de mettre un terme à cette pratique barbare! »
Et Matthieu de rappeler une scène marqunate du film de Kubrick, Full Metal Jacket, La scène de Kubrick montre et dit tout de l’atteinte à la chair.
Nago Humbert, médecin, professeur à l’Université de Montréal : « Pour ne pas subir cette humiliation imbécile et surtout à cause de la violence qu’elle induit, qu’elle soit organisée par la direction aujourd’hui ou sauvage comme à mon époque, avec quelques amis nous sommes allés nous faire raser la tête chez le coiffeur le jour avant la rentrée. (cela démontre aussi certainement notre niveau d’angoisse devant l’événement). Et je n’ai pas participé l’année suivante à cet événement rituel ridicule parce que je refusais d’entrer dans ce mode de comportement primaire: puisque j’ai subi cette humiliation, je vais me venger en la faisant subir aux suivants. »
Alain Corbellari, professeur à l’Université de Lausanne : « En tant qu’ancien président des Vieux-Zofingiens, quoique parlant en mon nom personnel, j’appuierai toute démarche visant à bannir les bizutages imbéciles du Lycée Denis-de-Rougemont. Je m’empresse de dire que je n’ai en moi nul esprit de vengeance, puisque j’ai fait mon Gymnase à La Chaux-de-Fonds. De fait, je ne suis pas contre toutes les formes de « charriages », comme on dit dans les sociétés d’étudiants, mais ceux-ci ne peuvent se faire que dans des cadres choisis de manière totalement libre et non contraignante, ce que ne sont à l’évidence ni l’école ni l’armée. J’ajouterai qu’ils doivent garder un caractère bon-enfant, et que je n’ai jamais vu à Zofingue un charriage approchant même de loin le degré de barbarie et d’humiliation de la tonte. A de très rares exceptions près tous les « charriés » que je connais gardent un très bon souvenir de leur initiation et il devrait toujours en être ainsi. »
Je paratge ici aussi la tribune libre de Yves Tissot de La Chaux-de-Fonds, parue dans Arcinfo le 3 septembre.
Dans d’autres réactions, publiées sur Facebook, je suis violemment attaqué, dans les limites pourtant du tolérable.
Un ancien élève du Gymnase de Neuchâtel, maitenant enseignant : « Je te signale que là, sans équivoque, c’est toi qui de fait fait l’amalgame entre les camps et le gybus/LDDR, pas moi. Tu peux te draper dans toute la morale que tu voudras, il n’en reste pas moins que c’est putassier, vulgaire et impardonnable. »
Un collègue retraité, ancien professeur au lycée Denis-de-Rougemont (il s’adresse à M. Léo Bysaeth)… si toi et ce cher M. Musy preniez la peine de vous renseigner VRAIMENT au lieu de colporter n’importe quelle ânerie insultante ? Que proposeriez-vous si on retournait à la situation du bizutage sauvage d’avant le système actuel : 3 flics (tournus 3×8 oblige) derrière chaque élève potentiellement bizuteur ? Réfléchissez un poil (pardon, ça m’a échappé) avant de faire passer des centaines de personnes (200 élèves de 2ème + 100 profs et leur directeur) pour des nazillons. Vous êtes lamentables.
(…) Vous-même, Yves Tissot, Leo, P. Rothenbühler et j’en passe, vous critiquez quelque chose dont vous ne connaissez RIEN. Avez-vous pris la peine de venir assister à Gymnaz’In ? Non, bien sûr. Pourtant vous le pouvez. Cet événement est public et se déroule dans le jardin de l’école. Chacun peut y constater que c’est un événement festif et joyeux, et qu’aucune contrainte d’aucune sorte n’est exercée sur qui que ce soit. Malheureusement, vous préférez inonder le web d’un amalgame de mensonges, de racontars et d’analogies odieuses (cf vos photos) concernant le LDDR. Je le répète, c’est lamentable et calomnieux.
Un philosophe neuchatelois actif sur les réseaux sociaux : « Les médias neuchâtelois et romands ces derniers jours montent sur leurs grands chevaux parce que quelques parents excessivement protecteurs tiennent absolument à faire interdire les bizutages traditionnels du Lycée Denis-de-Rougemont, qui consistent à raser la tête des garçons qui entrent en première année. Alors certes j’en conviens, c’est une tradition de bourrins, ça ne vole pas forcément très haut et c’est en plus vraisemblablement un héritage prussien, ce qui, je le comprends tout à fait, peut déplaire dans notre petite république. Mais bon, de là à s’étrangler d’indignation et à pousser de hauts cris, il faudrait peut-être remettre les choses à leur juste mesure.
Je suis passé par ce lycée, je me suis fait raser la tête à 15 ou 16 ans comme l’ensemble des garçons de mon âge et l’année suivante nous sommes passés du camp des bizutés à celui des bizuteurs, comme tout le monde. Ça se faisait sans violence aucune, sur le mode de la rigolade, de l’esprit potache. Ce rituel était déjà interdit à l’époque mais il était pratiqué quand même car il ne relevait pas du lycée comme institution mais de la communauté officieuse des élèves. S’il est critiquable en tant que telle, il m’apparaît néanmoins inquiétant que certains – je pense notamment à l’un ou l’autre édile du PS – se précipitent sur cette micro-polémique de cour d’école (littéralement) pour tenter une fois de plus d’interdire, de pénaliser, de criminaliser.
La gauche, je l’ai remarqué à plusieurs reprises, éprouve une vraie aversion pour tout ce qui ressemble à un rite de passage. Or c’est peut-être ce qui manque le plus à une société occidentale atomisée, ultra-individualiste, modernisée à outrance, incapable de souhaiter (ou même d’imaginer) que ses enfants puissent grandir et murir ailleurs que dans une bulle hygiéniste, sécurisée et aseptisée. Je ne regrette pas les établissements scolaires militarisés à la mode prussienne, mais je n’ai pas envie pour autant que nos écoles se transforment en un vaste « safe space » à l’américaine. (…)
Ce bizutage n’a absolument rien de traumatisant et si un jeune homme n’est pas capable de supporter une petite vexation comme celle-ci, je me demande bien comment il va relever les défis de l’âge adulte et faire face aux difficultés de l’existence. J’ajoute que contrairement à ce que vous laissez entendre dans votre article, il n’a jamais été question de bizuter les jeunes filles, ce bizutage-là n’a jamais existé au lycée Denis-de-Rougemont. Je n’ai jamais entendu un seul lycéen pleurnicher à ce sujet (c’est toujours plutôt pris à la rigolade) et il est significatif que les plaintes dont vous vous faites l’écho soient avant tout celles de mères qui ont peut-être un peu de peine à laisser grandir leurs poussins. Quant à moi, si ça peut vous rassurer, je n’ai pas eu besoin, après être passé à la tondeuse dans un buisson, d’une cellule psychologie de crise ou d’une thérapie de dix ans ! D’ailleurs j’en profite pour vous livrer un scoop : les cheveux, ça repousse…
Un commentateur du précédent intervenant (il parle de moi) :« encore un bienpensant lobotomisé par le gauchisme… ils savent toujours ce qui est mieux pour l’autre… » (…) « le mec est une synthese, gauchiste et prof… un combo destructeur… »
Post-scriptum du 4 novembre 2020
L’affaire s’est conclue le 4 novembre 2020 par la réponse de la conseillère d’État Monika Maire-Hefti à une interpellation socialiste.
A reblogué ceci sur Commandant RoSWeLLet a ajouté:
Chez nos amis suisses. Un rien plus tôt que l’université.
Tout à fait d’accord, le bizutage doit être éradiqué. Il a de plus une motivation politique: apprendre aux jeunes à obéir aux plus forts, pas seulement à l’école, mais aussi plus tard dans la vie professionnelle. Le contraire de ce qu’une formation démocratique doit enseigner.
SOS Bizutage (France)