La pratique du bizutage du crâne rasé au lycée Denis-de-Rougemont de Neuchâtel m’est intolérable. Elle humilie les élèves qui y consentent et rappelle les pires images historiques de crânes rasés. Si j’avais enseigné dans ce lycée d’un autre âge, j’aurais été violenté dans mon métier. Cette pratique doit être interdite par une décision ou une loi cantonale.
Le débat est relancé dans le canton par le témoignage, dans Arcinfo du 31 août, d’une mère d’un jeune adolescent. Merci au journal cantonal d’avoir écrit cet article : «Le lycée a pris la décision de cautionner cet agissement, en ironisant la situation et en l’appelant ‘stand coiffure’», regrette la maman qui critique ce rituel. «La direction se cache derrière la liberté de choix des étudiants. Mais pour beaucoup d’adolescents, c’est un faux choix! On les laisse ‘choisir’ entre leur besoin d’appartenance à un groupe, fondamental à cet âge, ou l’abus, en touchant à leur intégrité physique.»
Le journal explique que « cette tonte se faisait auparavant de façon clandestine, parfois violente, en dehors de l’établissement. Jusqu’en 2004. Cette année-là, sur proposition d’un groupe de travail composé d’élèves, d’enseignants, de médiateurs scolaires et de chercheurs de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel, la direction du lycée décidait d’organiser un «rite de passage» à ciel ouvert, avec musique et apéritif, pour mieux contrôler ce phénomène et en finir avec les violences qu’il entraînait.
La pratique du rituel est donc cadrée depuis 15 ans. A chaque rentrée d’août, les nouveaux élèves reçoivent une information les invitant à la «Gymnaz’In» et proposant, aux filles comme aux garçons, «de se faire couper les cheveux afin de marquer, de manière symbolique, leur appartenance au lycée Denis-de-Rougemont». Le document précise bien que «chacun a le droit d’accepter ou de refuser et seuls les élèves consentants participent à cette coupe de cheveux».
Le directeur du lycée justifie la persistance de cette pratique: «Nous nous demandons même s’il faut continuer d’organiser une «Gymnaz’In» à l’avenir. Mais il y a la crainte que le bizutage reparte en force, de façon sauvage, sous la pression d’un groupe d’élèves ou d’une société d’étudiants attachée à cette pratique. Si ça devait recommencer comme par le passé, des dérives seraient alors à nouveau possibles, et sans doute incontrôlables!»
L’argumentation de M. Robert est très faible puisqu’elle repose sur un sophisme de la double faute qui consiste à tenter de justifier un comportement en soulignant que d’autres pratiques seraient pires encore.
Deux internautes que je salue n’ont pas manqué de réagir avec pertinence sur la page Facebook d’Arcinfo.
» Pourquoi, à ma connaissance, ce genre de rituels n’existe qu’à Neuchâtel? Que je sache – si quelqu’un a une autre info je suis preneur – rien de tel n’est pratiqué dans les Montagnes. Ne serait-ce pas un pur héritage prussien, en lien avec les sociétés d’étudiants, dont on connaît la filiation, à savoir un militarisme d’origine germanique ? »
» C’est une tradition d’un autre âge, de type patriarcal, qui n’a aucune raison de perdurer. Quelle est la valeur ajoutée de se faire tondre? Et ça se passe dans un lycée dont les profs expliquent qu’ils sont une élite (sic) !!!! On comprend mieux pourquoi on est dans de sales draps avec une élite pareille. »
Ce bizutage est intolérable pour trois raisons :
a) Il rappelle des images historiques ou réelles d’une grande violence symbolique : les crânes rasés des déportés dans les camps de concentration, les boules à zéro des jeunes fascistes d’aujourd’hui, les femmes rasées à la Libération.
« Une jeune femme rasée, marquée au fer rouge sur le front, serre contre elle un nourrisson, conspuée par une foule qui l’entoure. Pris par le reporter-photographe hongrois Robert Capa (1913-1954) dans les rues de Chartres le 16 août 1944, le cliché a fait le tour du monde. Image emblématique de cette épuration sauvage qui entache l’idéal de justice proclamé haut et fort, cette violence faite au corps des femmes, souvent accusées d’avoir couché avec des Allemands, la photo de Capa est publiée dans le magazine américain Life et bientôt reprise à l’envi. » Ecoutez à ce propos l’extraordinaire chanson de Georges Brassens, La Tondue. Elle exprime bien l’attitude de nombreux internautes sur la pratique du lycée de Neuchâtel : l’indifférence complice, la complaisance rituelle.
b) Cette violence faite sur le corps de jeunes adolescentEs est contrôlable. Il faut l’interdire, comme en France.
Il y a vingt ans, en 1998, la loi contre le bizutage était votée. Elle est sans équivoque : »Le fait pour une personne d’amener autrui contre son gré ou non à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif » est puni « de six mois d’emprisonnement et de 50.000 francs d’amende » (7.500 € aujourd’hui).
Sont notamment concernés « les élèves et les étudiants des écoles et des établissements du premier, du second degré et de l’enseignement supérieur, des établissements d’enseignement spécialisé« .
Dans le canton de Neuchâtel, des députés seraient bien inspirés de construire une loi dans cet esprit.
c) L’entrée au lycée et dans toutes les autres écoles supérieures doit se marquer par une bienveillance culturelle à l’égard des nouvelles et nouveaux élèves.
Au lycée Blaise-Cendrars de La Chaux-de-Fonds, les élèves sont accueillis le premier jour par la direction qui les invite à apprendre le métier d’intellectuel. On ne prononce jamais le mot « élite » mais on les plonge très vite dans le monde de la pensée par soi-même : c’est le meilleur « rite de passage ».
Ce devrait d’ailleurs être le discours d’accueil de TOUTES les écoles supérieures et de tous les directeurs, quelle que soit la formation. Car fabriquer ou construire, c’est aussi penser par soi-même pour devenir autonome et expert dans son métier.
Personnellement, j’aurais été violenté en devant accueillir dans mes nouvelles classes des jeunes privéEs d’un de leurs plus beaux atours/atouts : leur chevelure qui les personnalise autant que leur visage, leur démarche, leur corps.
Regardez cette photo floutée de ma dernière classe en 2017 et imaginez les garçons tondus, notamment le grand jeune homme à gauche. Et les longues chevelures des jeunes filles qu’elles auraient sacrifiées sous la pression sociale du groupe autour duquel elles vont construire un moment important de leur vie.
Le meilleur rite de passage pour les jeunes de 15-16 ans qui entrent dans une école supérieure est de les respecter. Je les vouvoyais et apprenais par coeur rapidement tous leurs prénoms, les écoutais parler des événements culturels de leurs vacances, les plongeais immédiatement dans les beautés de la littérature par la lecture de La Prose du Transsibérien de Blaise-Cendrars.
C’est ce que je faisais, à vingt kilomètres de Neuchâtel et de son lycée d’un autre âge ! Sur les hauteurs de ma ville …
En tant que très ancien élève du Gymnase de Neuchâtel, j’ai été témoin de la chose. Cela dénotait du caractère poussiéreux des sociétés d’étudiants de l’époque, qui alimente encore les partis bourgeois d’ailleurs…. Cette mentalité élitiste est apparemment toujours vivace. Or, tout le monde peut accéder à des hautes écoles à condition de travailler. Le DDR abdique face au passé. Il n’en est que plus petit….
Monsieur Daniel Musy,
J’ignore la volonté qui vous meut, mais la pré suppose bienveillante.
Or, le message que vous faites passer par l’amalgame pictural associant les traditions d’agrégation des étudiants de ce lycée, et partant, de l’ensemble de ces rites, avec l’extrémisme, avec la vindicte populaire ayant suivi la Libération de l’Europe du joug nazi (exception faite de la Suisse), ou encore de camps d’internement s’apparente très fortement à de la calomnie.
Que vous n’aimiez pas ces rites, c’est votre droit le plus strict. Mais de quel droit vous permettez-vous des contre-vérités infondées, ou de propager des propos liés à la méconnaissance du sujet?
Ces traditions existent, chez vous comme ailleurs, car elles ont une utilité et leur histoire. Que la compréhension de leur utilité ne saute pas aux yeux n’est pas le propos.
De quel droit la volonté d’une poignée d’individus aigris devrait encore permettre de faire interdire quoi que ce soit qui serait pratiqué par d’autres personnes elles-mêmes consentantes?
Il me semble que chacun est encore libre de faire ce qu’il veut de son propre corps.
L’établissement cité a eu le courage de pratiquer un bizutage institutionnel – comme cela se pratiquait à l’origine, et de veiller au bon déroulement des choses. Il faut applaudir cela. L’étudiant l’a fait de son plein gré, et avait le droit de refuser. Ôter la liberté de choisir sa trajectoire de vie aux individus n’est-il pas bien pire qu’une ablation capillaire?
Et le risque de l’interdiction sera de faire revenir l’aspect sauvage de ces pratiques, hors champ de contrôle, et donc d’y voir soumis des personnes n’ayant pas désiré vivre ce rite.
Essayez la bienveillance et la compréhension des pratiques des autres.
Je vous réponds même si vous vous exprimez sur mon blog de façon pseudonymique.
J’ai passé toute ma vie d’enseignant à accueillir dans mon lycée, à 20 km de celui que je critique, des étudiants de 15 ans entrant dans leur nouvelle formation. La volonté qui m’anime est de faire interdire la pratique institutionnelle du bizutage dans mon canton comme cela existe en France.
Votre réflexion repose sur l’illusion qu’un jeune de 15 est libre de ses décisions. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler que dès Spinoza, les philosophes ont démonté cette idée : nul n’est plus esclave que celui qui croit être libre sans l’être. Le rôle du lycée est précisément d’apprendre aux jeunes à construire un jugement libre, libéré autant que ce peut des pressions extérieures. Le jeune étudiant se faisant tondre ne décide rien, il obéit à des habitudes rituelles et provinciales de ce petit lycée de Neuchâtel, qui véhicule derrière lui tout le rance d’un héritage aristocratique et élitiste.
Quant à l’argument de l’ablation des cheveux qui repoussent, il est plein d’aveuglement devant les souvenirs que vous considérez comme de la calomnie. Mon « amalgame provocateur » a en tous cas eu du bon puisque la ministre cantonale de l’éducation va s’employer à faire disparaître cette pratique rituelle d’un autre âge.
Mon pseudonyme ne cache aucunement mon identité, mais réponds à un nom d’artiste lié au blog éponyme.
Vous êtes enseignant, et tout dans votre message de réponse, comme dans vos articles, démontre l’infantilisation que vous produisez envers les adolescents qui, dans d’autres cadres sociétaux, seraient déjà perçus comme des adultes.
La croyance de l’immaturité de la jeunesse s’arrête-telle à l’âge de la majorité ? N’êtes-vous pas vous même la proie de messages et de discours élaborés dans des objectifs à produire des actes qui n’auraient pas été accomplis autrement (achats compulsifs par exemple) ?
Et cela vaut autant pour votre Député qui va dans le sens de celui qui a la plus grande gueule, de peur de n’être pas réélu.
Donc je ne vois aucun argument pertinent à votre réponse d’auto-glorification à saboter un rite riche de sens et de sociabilité.
Pour autant, je ne suis pas un défenseur des rites étudiants pour les collèges et lycées, car s’ils sont déjà à même de réfléchir convenablement, il leur manque la maturité apportée par le vécu.
Mais dans ce contexte, les adultes de l’établissement les épaulent de façon bienveillante.
Quentin « commandant RoSWeLL » Delanghe
http://gaudeamusigitur.eu
J’ai pu aller voir qui vous êtes, ce que vous défendez en Belgique. Ainsi donc j’aurais passé ma vie d’enseignant à infantiliser mes élèves. La méconnaissance complète des réalités de ma ville de Suisse, La Chaux-de-Fonds, ouvertement à gauche depuis 100 ans, vous fait affirmer des formules toutes faites, relevant d’une idéologie conservatrice, sinon réactionnaire. Certes, c’st biewn écrit et formulé et je connais aussi ce type de discours près de chez moi. Ils n’ont pas manqué de ressurgir à propos de mon article qui aura eu au moins le mérite, avec d’autres cités, de faire bouger les lignes. Ce rite d’un autre âge sera bientôt banni à Neuchâtel, sur volonté du département de l’éducation. Et tant pis pour les nostalgiques !
Ma bienveillance envers vous et vos commentaires s’arrête là et j’aurai le dernier mot puisque je n’accepterai plus d’autre de vos interventions. Match nul 2-2 !
Si vous pensez qu’il s’agit d’un match, vous vous trompez.
Je n’ai pas de connaissance concernant la Suisse, ni votre village, je le reconnais bien volontiers. Je n’ai rien évoqué de plus à ce propos que ce qui est dans les journaux.
Vous ne voulez pas comprendre que ces rites « d’un autre âge » ne peuvent mourir. Ils évolueront, comme chaque fois. Je souhaite que les modifications d’une formule sécurisée ne porteront pas les germes d’une modification plus brutale, dont votre action sera autant responsable que la jeunesse qui l’effectuera.