Radu Lupu, le pianiste roumain de 72 ans, n’enregistre plus depuis 1986 ni n’autorise la publication en disques de ses concerts. Ses apparitions sont rares et le récital qu’il a donné à Neuchâtel le 29 novembre 2017 était le troisième auquel j’assistais. Tout en noir, la démarche droite et lente avec cheveux et barbe presque blancs, il nous a notamment, en vieux mage, donné les Moments musicaux de Schubert.
Ayant fait vœu de silence en studio depuis son dernier disque Schumann mal enregistré en 1985, Radu fait effectivement de ses concerts un don de soi. Les disques n’auront jamais la sonorité juste, avec des micros trop près ou trop loin ; pourtant certains de ce pianiste sont célèbres et je les ai presque tous. Pour exemple, cet Intermezzo de Brahms tiré d’un disque consacré aux dernières pièces du compositeur. Il l’avait donné en bis, à pleurer, après son 1er concerto de Brahms à Lucerne avec Abbado le 13 août 2011.
A Neuchâtel, le concert a commencé par des Moment musicaux déconcertants de lenteur, décantés à l’extrême. La forme technique de Lupu n’était sûrement pas à son meilleur mais ses caractéristiques de toujours ressortaient : intimité, sonorité chatoyante, polyphonie du jeu, « science infinie du toucher » (Philippe Cassard), poésie pure. Ce concert où les Kreisleriana furent remplacés à la dernière minute par la Sonate D. 959 de Schubert est redonné à Bâle le 30 avril 2018.
Le pianiste vit dans son monde, dégagé de toute contingence matérielle, libre et souverain. Je conseille aux amateurs de documents improbables d’écouter ce qu’il fait de la Sonate Gastein de Schubert, no 17 , D 850, au Carnegie Hall en 1976. La prise est affreuse, effectuée d’un lointain siège avec des froissements de vêtements. L’énergie polyphonique déployée par Radu Lupu y est unique.
Ce mage voit loin, dans les profondeurs occultes de la musique ; ses offrandes rares restent dans nos mémoires comme des moments magiques.