Grave péjoration des conditions de travail dans l’école neuchâteloise


Enseignant par vocation depuis 37 années bien gratifiantes, et bientôt à la retraite totale, j’ai fait et je ferai la grève. Par solidarité avec mes plus jeunes collègues et une conviction que j’exprime ici : jamais les conditions de travail dans l’école neuchâteloise n’ont été autant mises en péril que cette année, avec notamment le projet de nouvelle grille salariale. Je souhaite, malgré la rupture de devoir de réserve incombant à un serviteur de l’Etat, tordre le cou à trois idées qui circulent dans la population ou dans la bouche de notre employeur.

 

La première est que les enseignants ne feraient la grève que pour sauver leur salaire. Il faut être bien hypocrite pour ne pas objectivement constater que les conditions de travail se sont grandement dégradées depuis août 201o. Les calamiteuses décisions de Philippe Gnaegi furent alors adoubées par le Grand Conseil (avec même les socialistes !) lors du vote du budget en décembre 2009. Si je prends le cas particulier d’un enseignant de français-philosophie comme moi, nous avons passé de 23 à 24 périodes hebdomadaires, perdu une heure de décharge de correction et des classes en demi-groupe en 1ère année. Malgré tout, je reste nettement moins touché que des collègues accueillant des enfants avec de plus en plus de besoins éducatifs, moins exposé que tous les enseignants de l’école obligatoire qui croulent devant des travaux administratifs de plus en plus astreignants.

Merci donc à des collègues de Boudry d’avoir, sur ce premier point, bien remis l’église au milieu du village dans une Tribune libre parue aujourd’hui dans la presse cantonale.

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La deuxième idée fausse est que les nouvelles grilles salariales des enseignants, du primaire notamment (degré 3-6), sont « bien situées en comparaison intercantonale« . La formule nous vient de notre collègue chef des ressources humaines du canton qui nous a envoyé une lettre le 9 novembre. Cette missive enrageante vise à « clarifier les modalités de la mise en oeuvre de la nouvelle politique salariale » et à nous faire croire que la nouvelle grille salariale est attractive et se situe entre les cantons de Vaud et du Jura. La démonstration, hypocrite ou naïve, passe par la présentation d’un schéma.

 

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A première vue en effet, la grille vaudoise équivaut à la nôtre. Mais comme le dit si bien Pierre Graber, président du Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois, le schéma oublie de préciser que, « pour le même salaire« , les instituteurs vaudois ont « deux périodes hebdomadaires en moins, en comptant l’heure de décharge pour la maîtrise de classe. C’est 7 % du salaire. » On nous trompe sur la marchandise qu’on nous essaie de nous vendre; cette manipulation est particulièrement difficile à digérer pour des maîtres dont l’idéal pédagogique et philosophique vise à être serviteurs des vérités à transmettre à leurs élèves…

 

La troisième idée bien légère serait que dans cette nouvelle grille salariale, « on observe simplement la disparition d’une spécificité neuchâteloise héritée des années 1980, à savoir la progression extrêmement rapide en 10 annuités« .

Le mot « simplement » est choquant dans la lettre du chef des ressources humaines parce qu’il occulte les causes de cette spécificité et les conséquences de sa disparition.

Dans les années 80, au lieu d’augmenter les salaires des enseignants, l’Etat avait pris cette mesure pour revaloriser le métier. La supprimer aura des conséquences pour un jeune (futur) enseignant, à savoir une perte de salaire de carrière de 3,86 % pour les enseignants en H1-H2 (ancienne « école enfantine), de de 1,37 % en H3-H6, de 5,86 % pour les titulaires d’un master en cycle 3 et de 6,6% pour les profs de lycée. Ainsi, après 10 ans d’enseignement, un prof de lycée qui débuterait en 2017 toucherait en 2027 1600 francs par mois de moins qu’un de ses collègues qui aurait commencé en 1997. Au début de sa carrière, il gagnerait 730 francs de moins. Tout cela même s’il travaillerait une heure de moins (23 heures au lieu des 24 actuelles pour ses autres collègues).

Que le Conseil d’Etat, si prompt et unanime à vouloir faire rayonner notre région par de grands projets unificateurs, ait au moins le courage d’assumer ce paradoxe : notre canton universitaire offrira des conditions de travail péjorées pour les enseignants que cette université aura entre autres formés. Comment alors, dans un XXIe siècle où la mobilité est reine, dans des cantons romands où les programmes sont harmonisés, éviter la fuite des cerveaux, la désaffection de l’école neuchâteloise par les futurs enseignants ?

Dans ce sens, ma grève, notre grève, ne sont pas illégitimes. Il faut savoir hausser la voix dans certaines situations !

Je la hausse ici – bien conscient de transgresser mon devoir de réserve – comme j’ai dû parfois la hausser dans ce blog. Car le monde noble, exigeant et reconnu qui fut le mien est en train de se déliter : c’est d’autant plus insupportable que notre employeur tente, à ses grands risques et périls, de dévoyer le débat rationnel par des manipulations, des démonstrations imprécises et des discours lénifiants.

La vérité est que le gouvernement souhaite diminuer la masse salariale de l’Etat en demandant des sacrifices importants, aux enseignants comme aux autres fonctionnaires.

1 commentaire

  1. Entièrement d’accord avec vous. On peut constater que la question du salaire est la plus sensible si on veut améliorer les conditions de travail. Le problème, avec les enseignants, est que le grand nombre d’heures passées à la maison pour préparer ses cours n’est pas ou peu comptabilisables dans un système néo-libéral. Tout comme le travail de recherche d’informations l’est en journalisme. Comment dès lors convaincre ceux qui se mettent les doigts de pied en éventail – de façon légitime – après avoir passé à la timbreuse? Faut-il obliger les enseignants à travailler dans leurs collèges en-dehors des heures des cours qu’ils donnent, pour que leur travail soit plus correctement perçu? Et comment mieux prendre en compte la pression psychologique de plus en plus forte dont souffrent bon nombre de salariés en Suisse? Les journalistes se battent aussi pour leur métier (notamment à Lausanne et à Genève, actuellement). Mais ils ne peuvent se mettre en grève sans risquer le licenciement sec. Les enseignants neuchâtelois ont au moins cet avantage. A eux de l’exploiter intelligemment, auprès du grand public, et auprès des parents de leurs élèves en priorité.

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