De Beau-Site au Temple-Allemand


A La Chaux-de-Fonds, les amateurs de théâtre ont eu l’occasion de voir en fin cette fin d’octobre deux créations : l’une par le prestigieux TPR, Sils-Kaboul, l’autre par une compagnie régionale plus modeste, Projet Icare, et co-produite par le Centre de culture ABC, La Paix perpétuelle. Deux manière de produire du théâtre professionnel aujourd’hui dans notre ville ; l’une assurément me touche plus que l’autre.

 

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Deux spectacles dans deux lieux aux infrastructures bien différentes qui influencent la scénographie : riche à Beau-Site, avec des grands rideaux mobiles, un miroir, du sable, des coussins, une baignoire, des éclairages sophistiqués. Minimaliste et de bon aloi dans le temple désaffecté, un carré-ring de jeu avec quatre portes figurées et quelques très rares objets : un seau d’eau, un ballon de foot crevé, un biscuit sec et trois morceaux de craie blanche.

Deux textes de départ opposés : un montage à partir d’écrits de deux écrivaines des années 40, Ella Maillart et Anne-Marie Scharzwenbach, et un texte théâtral d’un dramatuge espagnol de 50 ans, Juan Mayorga. La tendance aujourd’hui est souvent à la mise en théâtre d’écrits non théâtraux, ce qui oblige les metteurs en scène à des choix bien différents. Le « contrat de spectacle » proposé au spectateur n’est pas du tout le même. Impossible pour lui de revoir un autre Sils-Kaboul une fois ailleurs !

Deux metteuses en scène chaux-de-fonnières dans la cinquantaine: la très médiatique Anne Bisang et la plus discrète Muriel Matile. L’une s’efforce de théâtraliser au maximum un texte « à l’état de nature » puisque’il n’est pas théâtral. C’est comme si, à chaque instant, il fallait utiliser au maximum des accessoires variés : des ventilateurs pour simuler le vent, une baignoire remplie d’eau pour que s’y baigne nue Anne-Marie Schwarzenbach, des coussins pour que s’y enfouisse Ella Maillart, des micros, une estrade, des images vidéos et j’en passe. De même, la diction passera de la déclamation discoureuse à des duos laborieux, à du langage parlé, à des passages plus poétiques. L’effet maximum d’artificialité rend-il l’essence des textes, leur nature, leur pouvoir suggestif ? C’est à voir…

Dans l’autre mise en scène, un texte théâtral au comble de l’artifice puisque des acteurs doivent incarner des chiens en compétition pour gagner le titre d’anti-terroriste de choc. Mais une mise en scène qui fluidifie et « naturalise » le texte par l’unité percussive du jeu des acteurs, le rythme et l’occupation du ring-espace du jeu par une incessante chorégraphie des corps. L’ennui généré par le surplus sophistiqué fait place au dynamisme entraînant des éléments basiques.

Deux manières de parler du monde d’aujourd’hui : un retour dans des textes passés somme toute assez éculés puisqu’on les a largement déjà lus ou vus mis en scène. Ils nous disent l’angoisse tragique de celles qui quittent un monde à l’agonie. Et une avancée dans une fable philosophique, certes un peu appuyée et imprécise, sur la perte des repères des démocraties face au terrorisme.

Le plaisir théâtral peut se déguster dans les deux spectacles, j’en conviens. Mais, à tout prendre, je préfère infiniment le rapport qualité-prix du Temple-Allemand. Avec peu de moyens on fait parfois mieux qu’avec beaucoup beaucoup !

 

 

2 commentaires

  1. Je pense que le « surplus sophistiqué » dont vous parlez, Monsieur Musy, est un « surplus » tout court. L’enjeu principal de la pièce, cette vieille question d’éthique, revient à se demander si une « Paix perpétuelle » est accessible en respectant les principes qui devraient la gouverner, c’est-à-dire les Droits de l’homme. A l’épreuve du terrorisme, l’auteur formule une réponse conséquentialiste: dès lors que ces droits fondamentaux sont menacés, on doit les contourner pour les sauvegarder. Autrement dit, dans le texte, il est bon de torturer un terroriste si cette action peut empêcher un autre attentat.

    L’ennui – au sens propre comme au figuré – est que cette sophistication théorique comporte des fautes qui brouillent le sens de cette conclusion. Comme vous le savez, la position contraire au conséquentialisme, parfois appelée fondamentalisme, est précisément celle de Kant; nos actions sont bonnes si et seulement si elles respectent des impératifs universalisables. Puisque la torture n’est pas universalisable, on ne peut pas torturer un terroriste, quelque soit la finalité de l’action. Pourtant, dans sa diatribe anti-philosophique, la cheffe du service s’amuse à ridiculiser ce « Chien-Penseur » en prétextant que, dans ce contexte, même Kant serait d’accord de laisser tomber ses thèses pour sauver les principes qu’il souhaite perpétrer, laissant ainsi penser que la philosophie et la raison ne servent pas à grand chose quand il s’agit de sauver le monde. Or ceci revient à donner à Kant une éthique utilitariste qui n’est pas du tout la sienne. C’est embêtant car la question qui est posée au spectateur relève alors moins d’un choix rationnel entre deux thèses morales qu’un choix abscons entre « philosophie et réalités des choses » ou quelque chose du style.

    Au final, j’ai une nouvelle fois le sentiment que le philosophe est présenté comme un personnage qui n’a aucune influence possible dans la vie publique et qu’il faut littéralement abattre pour espérer vivre en paix. Pourtant, le conséquentialisme est aujourd’hui une position majoritaire dans la tradition analytique contemporaine. C’est à se demander si, même au théâtre, la philosophie traîne ses clichés de pseudo-science quitte à devenir, à tort, la médecine de Diafoirus.

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