Qu’est-ce qu’une écriture féminine, pour autant que cette question ait un sens ? En lisant la nouvelle Fugitives de l’écrivaine Alice Munro, on peut éventuellement y répondre.
Ce texte est un chef-d’œuvre de sensibilité littéraire, dirais-je de mon point de vue masculin … Bien des écrivains mâles ont construit des immenses romans sur le temps. Mais qui arrive en moins de cinquante pages à raconter une histoire somme toute banale (« Carla vit dans un mobile home avec Clark. Ils ont monté un petit centre équestre. Un soir, pour casser la routine et s’amuser un peu, elle a raconté à Clark que M. Jamieson, le voisin, lui demandait des faveurs sexuelles. A la mort du vieil homme, Clark veut faire chanter sa veuve. Carla n’ose pas avouer son mensonge. Lassée de tout, elle s’enfuit… ») en ménageant constamment des plongées temporelles et des bifurcations de point de vue dans le passé de l’héroïne ?
Comment faire le portrait d’un personnage dévasté en reconstruisant par petites touches toute son histoire, ses illusions détruites par les lâchetés masculines ? Qui mieux qu’une femme peut dire l’emprise sur les corps et les consciences, traquer les marques laissées par le temps et les occasions perdues ?
Fugitivement, une page de cette nouvelle :