Jean-Stéphane Bron : Blocher, l’expérience de l’enfermement


L’Expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron, à voir absolument, n’est pas un film documentaire démonstratif ou explicatif mais une œuvre cinématographique qui nous donne à faire l’expérience intellectuelle d’un personnage enfermé depuis l’enfance dans des mondes qu’il a modelés à son usage, par réaction et vengeance. Blocher n’a construit sa vision politique et humaine, sa fortune et sa collection de tableaux que sur des manques profonds qu’il a comblés par des trop-pleins. Derrière ces accumulations de succès obtenus par des combats vindicatifs, le film montre que le vide subsiste.

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Le manque d’amour du père pasteur aurait pu se transformer en une ouverture aux autres, un amour du prochain et de la différence. C’est exactement l’inverse. Derrière l’immense popularité du personnage, sa capacité à enthousiasmer les foules crédules, c’est le vide du bonimenteur. Il se moque d’elles, est soulagé de rentrer dans sa limousine après s’être donné de toute son énergie pour leur faire ingurgiter ses beaux discours bien formulés. C’est une savoureuse vengeance : l’amour qu’elles ont pour lui compense celui qu’il n’a jamais reçu dans son enfance. Blocher n’a d’empathie pour autrui que le regard vissé dans la baromètre des sondages, des résultats et des coups tordus à monter. C’est un homme seul, comme beaucoup de populistes.

La misère financière de sa jeunesse explique la fortune du milliardiaire d’aujourd’hui. Tous les moyens seront bons pour devenir le seigneur enfermé dans ses forteresses de la Goldküste et de Rhäzuns : commerce avec l’Afrique du Sud et la Chine, rachats et revente d’entreprises. Je me venge des années de vache maigre par tous les coups économiques possibles, la société n’existe pas pour moi : il n’y a que des individus, dont moi. Je trône en bailli du lac ou en châtelain du Rhin, je me suis construit un empire à côté de cette grande bourgeoisie libérale zürichoise dont je suis pas issu mais qui ne peut maintenant que contempler ma réussite. Je ne sais qu’aller de l’avant.

Le manque d’espace d’une enfance se déroulant devant les chutes du Rhin mugisssantes, avec les nazis en face, a créé un traumatisme profond. Comment, fils d’Allemand honni, être suisse et protégé dans son espace ? Conjurer l’enfance rétrécie, c’est construire un rétrécissement infini en imaginant tout l’espace helvétique entouré de frontières et d’ennemis potentiels. Dans l’illusion d’une Suisse mythique, belle en soi et pour soi, Blocher a non seulement mis en place un projet politique à partir de cette vision mais a engrangé une collection de tableaux d’Anker. Les paysans y sont des anges et les paysages des havres.

Cette Suisse mythique, Blocher la parcourt dans sa limousine qui le conduit dans les meetings au fond des espaces les plus reculés. Et dans dans le bunker-musée de sa villa entourée d’une muraille de huit mètres (Bron dixit), il la retrouve, figée dans les œuvres d’Anker dont il est le boulimique collectionneur. Il y contemple, avec tout l’argent qu’il a mis à les acheter, les images d’une enfance idyllique jamais vécue, d’une Suisse sans ennemi et d’une « culture » artistique qu’il faut bien étaler.

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