Jean-Michel Potiron : la mouette et la mazurka


Les dernières oeuvres théâtrales de Tchékhov, qui culminent avec La Cerisaie, sont des partitions théâtrales qu’il faut interpréter comme un chef d’orchestre une symphonie de chambre. La Mouette, sous la conduite du « chef » bisontin Jean-Michel Potiron, est actuellement jouée au Temple-Allemand dans le cadre d’une production réunissant plusieurs troupes et techniciens du spectacle de notre région. C’est admirable, en particulier le mouvement final de cette pièce de deux heures sans pause.

La scénographie est épurée : Nicole Grédy, pour le premier acte qui montre la représentation d’un pièce sur un tréteau installé dans un parc, se contente de faire asseoir les personnages spectateurs sur de simples tabourets.

122162

Ce sera, plus tard, une ou  deux chaises de jardin pour l’acte deux, quatre à cinq valises pour le troisième, une grande table et des chaises pour le dernier.

La valse qu’on doit entendre dans la pièce est en fait une mazurka de Chopin, la deuxième de l’opus 68, page mélancolique et douloureuse qui répète ses éléments mélodiques avec une déchirante insistance. C’est l’essence même de la musique théâtrale de Tchékhov et l’idée de la mise en scène de Potiron est excellente. On entend cette mazurka dans les quatre actes qui se suivent presque sans interruption comme les mouvements d’une symphonie. Le quatrième, censé se dérouler lors d’une tempête culmine dans la scène fulgurante entre les deux personnages les plus déchirés, l’écrivain Treplev et l’actrice-mouette Nina. Déchirante scène où Treplev déchire ses manuscrits avant de se suicider.

 » De cette pièce de Tchekhov, les comédiens et moi souhaitons proposer une version dénuée d’affectation: claire, simple, humaine.
 Tous les personnages de La Mouette se posent la même question, ils veulent vivre intensément, aujourd’hui. Mais ce qui fait leur drame, c’est qu’ils échouent, ne parviennent pas à se réaliser. Ils sont contrariés dans cet épanouissement car ils se retrouvent confrontés à des événements, à des environnements ou à d’autres personnages qui font que leurs tentatives d’épanouissement ne peuvent aboutir.  » Ainsi s’exprime Potiron, qui réussit à entraîner les comédiens-amis, qu’on a vus ici si souvent, dans les plus beaux territoires intérieurs. Ils sont les instrumentistes d’une partition qui joue sur les variations de tempo, les scènes de groupes ou à deux ou un personnages, le risible et le tragique, la lumière et l’ombre, l’été et l’hiver : une mazurka théâtrale, qui dit la fidélité à la patrie du théâtre et la difficulté toujours renouvelée de ne jamais en quitter les profondeurs.

La magie musicale de Tchékhov est restituée, ici, chez nous, pourtant si proche de là-bas vers 1898; et la beauté des silences est bien captée par les quatre-vingts spectateurs du Temple-Allemand dont l’allure désaffectée rappelle les Bouffes du Nord où, dans les mêmes intentions symphoniques et épurées, Peter Brook monta La Cerisaie. Le clin d’oeil de Potiron à Brook, c’est le tapis d’Orient du quatrième acte, qu’on met et retire …

1 commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s