Les vitraux calligraphiques du père Kim


Le Père dominicain d’origine coréenne, Kim En Joong, est un ecclésiastique de quatre-vingts ans, grand maître verrier inspiré par un geste calligraphique oriental. Un petit pèlerinage à Chartres, Evry et Paris permet une approche de ses oeuvres liquides et fluides qui contrastent avec l’architecture rigide des cryptes, chapelles et églises qu’il habite de son art.

Grâce à une chère amie qui possède le très beau livre paru aux Éditions du Cerf, j’ai appris l’existence de ce maître verrier. Et j’ai voulu en connaître plus, dans les églises mêmes transfigurées par les vitraux du Père.

À Chartres, il faut avoir l’autorisation de pénétrer dans l’immense crypte semi-circulaire de la cathédrale pour arriver à la petite chapelle décorée par Kim. Merci à l’employé du diocèse, François-Régis, d’avoir été un si beau guide.

Ici, le geste quasiment calligraphique des traits-branches relie entre elles dans un mouvement ascensionnel les surfaces colorées. Est-ce un rappel de l’arbre de Jessé (visible ci-dessous), le plus célèbre vitrail de Chartres ? Les grands blancs font alterner le vide et le plein, la nudité et la plénitude, l’absence et la présence, la joie d’une rencontre et de retrouvailles comme nous le suggérons plus loin avec François Chen. Nicolas Jean Sed l’écrit bien : « Dans la calligraphie, le corps est transfiguré, il est âme. La calligraphie est l’art du trait, l’art de l’amitié, le trait d’union entre les êtres humains et le divin. »

Dans la cathédrale de la Résurrection à Evry, les vitraux du Père ont un rôle architectural et spirituel considérable. Ils constituent les seules traces de couleurs autour de l’uniformité de la brique choisie par l’architecte Maria Botta. Pour accéder au lieu de culte, les fidèles prennent une rampe douce incurvée à droite de l’entrée. Ils vont s’asseoir dans la nef en passant devant la Porte de l’année sainte avec ses vingt-quatre vitraux évoquant les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse. Leur parcours est rythmé : d’abord par les douze vitraux très verticaux en enfilade de la façade ouest; puis par la lumière de la porte entourée des vingt-quatre vitraux.

Au milieu d’un après-midi ensoleillé de novembre, la légère descente vers la grande nef est saisissante, comme si la lumière spirituelle de l’invisible qui se reflète sur le marbre noir compensait pour le fidèle en marche l’austérité de la brique.

Dans le couloir, Kim utilise un geste plus tourmenté, avec des ruptures et des brisures, des carrefours et des impasses. Les douze vitraux évoqueraient-ils des stations de la Passion du Christ ? Kim pensait plutôt aux douze apôtres fondateurs de l’Église.

Les vitraux légèrement rectangulaires de la Porte Sainte ramènent le fidèle dans plus de densité et de plénitude avant de pénétrer dans la nef devant le Christ crucifié. Ces vingt-cinq emplacements suggèrent l’épisode des vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse entourant l’agneau mystique couché sur un arc-en-ciel. Kim rend hommage à ces vingt-quatre Vieillards qui intercèdent pour nous auprès de Dieu : une invitation pour les fidèles à devenir aussi des veilleurs !

L’église Saint-Joseph-Artisan est dans le Xe arrondissement de Paris, près du métro Louis-Blanc. Les cinq vitraux modernes des bas-côtés ont été conçus en 2004 par le Père Kim et exécutés, comme tous les autres, par l’entreprise de vitraux de la Loire à Chartres.

La structure en quatre parties de chaque vitrail et les tonalités différenciées, avec chaque fois une couleur dominante à valeur symbolique (bleu-espérance/pureté, jaune-Résurrection/joie, noir-mort, vert-paix/persévérance et rouge-Passion/Esprit saint) imposent une majesté sereine à cette petite église néo-gothique de quartier, qui fut un temps l’église parisienne de la mission allemande. Le mouvement de l’oeil est ascendant et le poème de François Chen dédié à Kim En Joong peut être ici révélateur d’une approche poétique possible de ces images.

A Kim En Joong

Ce trait de feu
qui soudain déchire l’espace,
Lorsque a lieu la rencontre,
D’emblée nous le reconnaissons
comme notre commune origine.

Ce trait de feu
et ce qui s’ensuit,
Jaillis du vide où circule
et se régénère le pur souffle,
D’emblée nous nous les reconnaissons,

Lorsque a lieu la rencontre :
Sentier millénaire surgi de la brume,
Feuilles de lotus assoiffées de rosées,
Vol d’une grue échappée de la morte-saison
que portent au loin les vagues de 
Eclair de bleu,

Eclaircie de jaune,
Eclaboussures de cendres noires,
D’un coup ravivés par la mémoire,
Nous qui venons de si loin,
Nous qui tendons vers l’ouvert,
Toutes peines au creux de la paume,
et toutes joies entre les doigts,
Matin d’un pays ressurgi,
Matin du monde revécu,

Toute vraie rencontre se révèle,
éternelles retrouvailles !

La chapelle des Franciscaines Réparatrices de Jésus-Hostie se situe avenue de Villiers, à l’ouest du XVIIe arrondissement, près de la Porte Champerret. Aujourd’hui, une trentaine de sœurs vivent dans ce couvent où le Père Kim célèbre encore la messe. La maison Jésus-Hostie ouvre ses portes toute la journée; une sœur à l’accueil nous indique la chapelle. On se recueille dans ce havre de paix au cœur de l’agitation parisienne car le Saint Sacrement y est exposé toute la journée, depuis la fin de la messe le matin, jusqu’à la fin des vêpres. Les sœurs se relaient toutes les demi-heures au prie-Dieu.

Changement total d’atmosphère par rapport à Evry et sa calligraphie tourmentée. Ici les surfaces colorées sont davantage monochromes; leur plénitude, le geste ample de la main qui a tracé les lignes noires et étalé les couleurs vives et franches sied à cet endroit serein dans le bruit de la cité. Un lieu ouvert à tous, même aux athées…

Car telle est l’universalité des images abstraites en verre du Père Kim : faire dialoguer dans leur geste calligraphique libre le visible et l’invisible. Pour notre plus grand bonheur d’arpenteur de lieux insolites et chargé d’émotions spirituelles.

Ce texte est dédié à C., ma chère amie de la campagne jurassienne

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