L’ancienne Chaux-de-Fonnière Marie-Claude Sawerschel, professeur de philosophie et ex(?)-directrice de lycée à Genève, est candidate verte libérale au Conseil national. Elle a essayé, dans un article passionnant paru dans Le Temps du 1er octobre, de démontrer que l’écologie n’est pas incompatible avec l’économie libérale, ce que je serais malgré tout tenté de penser.
Je cite la fin de cet article :
« C’est qu’il n’y aura désormais plus aucune justice sociale qui ne se préoccuperait pas d’écologie, plus aucune liberté économique qui se moquerait d’environnement. Comment être juste dans un environnement détruit ? Comment faire du gain si c’est au prix de la santé de la planète, laquelle nous fournit notre habitat, constitue notre origine et notre horizon indépassable ?
L’heure est venue de nous attaquer aux paradoxes du monde contemporain: comment préserver les acquis du progrès sans surexploiter celle qui nous fait vivre, la planète Terre? Comment consommer locaI dans un monde global? Comment résoudre l’épineuse question des caisses de retraite alors que l’allongement de l’espérance de vie est un progrès de nos sociétés? Comment éviter que les primes des assurances maladie ne nous rendent malades?
Notre environnement est notre bien premier et les activités humaines, à commencer par l’économie, doivent être mises à son service. Une économie qui ne servirait pas la transition écologique indispensable serait meurtrière et une transition qui ne serait pas soutenue par l’économie serait inefficace. Être Vertlibéral. ce n’est pas faire dans l’oxymore, c’est s’engager dans la solution des paradoxes menaçants qui sont devenus notre lot .
La question philosophique centrale d’un engagement politique écologique dans un pays soucieux de continuer à produire des richesses est en effet de se demander comment on peut continuer d’être juste dans un environnement qui est en train de se détruire.
La justice, comme le dit le grand philosophe du XXe siècle, John Rawls, est la première vertu des institutions sociales et « on a besoin d’un ensemble de principes pour choisir entre les différentes organisations sociales qui déterminent la répartition des avantages et pour conclure un accord sur une distribution correcte des parts. Ces principes sont ceux de la justice sociale: ils fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération dans la société.
Les questions à court terme qu’auront à débattre les prochainES éluEs au Conseil national seront notamment de savoir comment on va éviter de faire supporter aux plus démunis le poids de la transition écologique (par exemple en augmentant le prix de l’essence, en instaurant diverses taxes, en consommant plus local et favorisant une agriculture bio, en obligeant de renoncer à des véhicules polluants) sous peine de les voir devenir des gilets jaunes ?
La réponse de la gauche qui accepte encore la croissance économique, comme Madame Sawarschel, ira puiser ses racines chez Rawls « Des inégalités socioéconomiques, prenons par exemple des inégalités de richesse et d’autorité, sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. Ces principes excluent la justification d’institutions par l’argument selon lequel les épreuves endurées par certains peuvent être contrebalancées par un plus grand bien, au total. Il peut être opportun, dans certains cas, que certains possèdent moins afin que d’autres prospèrent, mais ceci n’est pas juste. Par contre, il n’y a pas d’injustice dans le fait qu’un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne; à condition que soit par là même améliorée la situation des moins favorisés ».
La question de la compensation est donc centrale puisqu’elle fait intervenir l’Etat dans son rôle d’instance compensatoire, de discrimination positive. Les Verts suisses et les socialistes pensent possible la transition écologique à condition que des avantages supplémentaires soient donnés aux plus démunis qui devront en supporter les effets. Sinon les inégalités vont s’accroître.
Dans ce sens, les Verts libéraux ne sont pas fondamentalement différents de leurs alliés de droite, en la circonstance, sur les questions de politique sociale. Ainsi, dans son profil Smartvote, mon ancienne collègue de philosophie est relativement orthodoxe sur certaines questions. Elle n’est par exemple que timidement encline à faire supporter aux plus riches des efforts supplémentaires.
» A 1.1. 1. Êtes-vous favorable à une hausse de l’âge de la retraite (p. ex. à 67 ans)? La hausse de l’âge de la retraite est nécessaire pour assurer la survie financière du système de pension (…)
B 5.4. Êtes-vous en faveur d’un contrôle plus strict de l’égalité des salaires entre hommes et femmes? L’égalité des salaires est une nécessité INDISCUTABLE. Les conventions collectives constituent un levier puissant dans ce sens et il faut qu’elles existent dans tous les domaines professionnels. Un contrôle supplémentaire sans ces outils fondamentaux est ou un pis-aller ou un alibi ou représente un arsenal de contraintes indésirables. (…)
C 7.2. Êtes-vous favorable à l’introduction d’un salaire minimum de 4’000 CHF pour toutes les personnes salariées pour un poste à plein temps? Ce n’est pas à l’Etat de régler cette question. Les conventions collectives et les discussions syndicats/employeurs sont faites pour ça. C’est ou un pis-aller ou un alibi ou représente un arsenal de contraintes indésirables. »
J’en viens donc à conclure, provisoirement, car l’essence de la politique est de se mouvoir dans le flux du temps, que les Verts libéraux proposent, dans la Suisse de 2019, des solutions qui ne résolvent rien. Des contradictions insolubles dans leurs raisonnements.
Des apories comme on dit dans le langage philosophique !