Les plats mémorables de Robuchon chez Jamin


Le plus grand cuisinier des années 80 avec Frédy Girardet n’est plus et je me rappelle avec émotion les quelques moments passés dans son petit restaurant Jamin à Paris entre 1982 et 1987. En 1982, Joël Robuchon n’avait encore qu’une étoile et le menu dégustation coûtait 240 francs français…

La mémoire de plats goûtés il y a plus de 35 ans ne tient pas encore en équilibre sur les béquilles des images d’un smartphone. Heureusement, il reste les notes précises de l’agenda sur l’intitulé des menus, les factures pieusement conservées et le souvenir précis de couleurs, de textures et de saveurs.

Cinq fois entre 1982 et 1987, j’ai monté la rue de Longchamp de la station Iéna pour arriver dans cette bonbonnière du XVIe arrondissement que Robuchon avait rachetée en 1981. Il était jusque-là chef dans à l’hôtel Nikko et s’installa chez Jamin à son compte jusqu’en 1994.

Robuchon

Plus tard, il devint un entrepreneur dans le monde de la gastronomie avcec le succès qu’on l’on connaît, notamment à la télévision. Il ne m’intéressa plus trop …

En 1982, on savait chez nous, par Catherine Michel notamment, que ce chef faisait des miracles pour un prix doux dans ce restaurant bourgeois, intime, feutré, avec une dame-vestiaire qui nous prenait les vêtements et des clients plus amateurs que m’as-t-u-vu. Il n’avait qu’une étoile (deux en 1983, trois en 1984), et par exemple en avril 82, il servait dans son menu à 240 FF (60 francs suissses) des « coquilles Saint-Jacques aux artichauts et truffes« .

tête de porc_2.jpg

Ce plat fut pour moi une référence absolue dans la découverte de ce que la cuisine d’un créateur pouvait susciter comme émotion : équilibre des goûts et justesse de la cuisson. Rien de plus – encore aujourd’hui en dépit de la sophistication croissante des techniques et de certaines superpositions baroques. La grosse Saint-Jacques, nacrée à la cuisson, était surmontée de lamelles d’artichaut et de truffe. Le souvenir de la sauce a disparu, pas celui de la puissante association entre la terre et la mer, entre la douceur du coquillage et la force du champignon, tenu en équilibre par l’artichaut.

En octobre 82, on pouvait même pousser le plaisir plus loin en allant manger à l’improviste un menu de midi à 110 FF où le cervelas de poissons fumés servi sur une choucroute était une épatant manière de « cuisiner à la manière brasserie ».

Des plats mémorables dégustés lors de trois autres repas chez ce chef, dès 1984 au faîte de sa forme, méritent l’évocation.

D’abord, la « morue poêlée aux aromates« . Dans les années 80, servir un pavé de cabillaud frais n’était pas courant. Robuchon l’avait clouté de petits morceaux de saumon fumé (il m’avait expliqué qu’il congelait préalablement le saumon pour mieux en insérer les filaments dans la chair de la morue) et parsemé de minuscules dés de divers légumes. Le poisson, nouveau dans nos habitudes gustatives, fondait fermement dans la bouche, avec sa douceur rehaussée par le fumé du saumon et vivifié par les aromates.

Que dire du « suprême de pigeon au foie gras et chou » sinon qu’on recevait sur l’assiette une sorte de grande quenelle de chou entourée de sauce brune, comme un chou farci. La surprise survenait à la découpe : à l’intérieur de l’enveloppe verte le filet de pigeon très rosé avec une fine tranche de foie gras poêlé inséreé au milieu ! Jamais pigeon ne fut meilleur !

Il faut bien terminer cette évocation par la fameuse purée de pommes de terre (50% de rattes et 50% de beurre) qui était notamment servie avec un plat génial qu’aucun trois-étoilé ne servirait plus aujourd’hui : la « tête de porc mijotée « Lucien Vannier »« . Il reste de ce plat paysan retravaillée une image tirée du fameux premier livre du chef, paru en 1986 et préfacé par Catherine Michel, Ma cuisine pour vous.

tête de porc

Cervelle, morceaux de langue, d’oreille et de joue étaient accompagnés de petits légumes et d’une sauce relevée à la truffe. Dans le livre, la recette prend trois pages pour un moment  de grâce. Ce 26 février 1987, on comprenait bien que « plus qu’un foudroiement, un repas chez Robuchon (…) procure un sentiment d’absolu plénitude tant le chef maîtrise le moindre élément gustatif » (Stéphane Davet, Le Monde, 8 août 2018).

Et on essaie, chaque jour chez nous avec le temps, les moyens et les produits à disposition, de tendre à cette plénitude qui augmente notre puissance d’être.

 

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