Dans le film Ida, chef-d’oeuvre de Pawel Pawlikovski, c’est ida y vuelta, un aller-retour entre le couvent et le monde. Voici une grande oeuvre moderne dont le contenu se donne par la forme et la structure. Impressionnant.
Le réalisateur a longuement parlé dans Télérama de ses choix esthétiques et philosophiques. Dans le portrait d’un nonne qui apprend qu’elle est la fille de Juifs disparus et qui part en quête de son passé dans la Pologne amnésique des années 60, le cinéaste fait deux choix formels centraux qui disent tout son film, presque muet, tourné en noir et blanc et en format 4X3.
Le premier est de ne filmer qu’en plans fixes, sauf à trois reprises, trois longs travellings : d’abord l’arrivée de la nonne, Ida, en tram dans la ville (hommage à Aurore de Murnau), puis son départ, en sens inverse (« vuelta ») de la même ville. Et finalement le dernier plan, travelling avant en caméra portée qui montre l’héroïne marchant de manière déterminée vers sa liberté conquise, prononcer ses voeux après avoir expérimenté la vacuité d’un monde sans Dieu. Dans ce plan, elle est filmée de face, et son corps remplit le cadre à la manière d’un plan américain.
Le cinéaste a choisi de faire l’inverse dans les autres cadrages de ses plans fixes. Son second choix formel est d’user de ce que j’appellerais des plans « polonais », comme le montre la photo ci-dessus. Les personnages y apparaissent au bas de l’écran, le bas du corps tronqués. Le haut de l’image laisse voir des décors, des espaces et des perspectives qui disent la solitude, le silence, l’enfermement ou la grisaille de la vie des êtres. Parfois même, à l’inverse, les êtres sont filmés « de corps », sans qu’on montre leur tête.
C’est dire la splendeur d’une mise en scène où le spectateur est attente de chaque nouveau plan, qui vaut, beau paradoxe, son pesant de sensibilité par la sophistication d’une image construite comme un tableau. La vérité des êtres et du monde passe ainsi d’ellipses en surprises. Les faux-semblants envahissent les consciences, celles des héros et des spectateurs surtout, qui doivent accepter que le suprême acte de liberté d’Ida est de retourner d’où elle vient, d’aller là d’où les mécréants pourraient penser qu’elle ne reviendra jamais à elle-même.
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