Hall de la gare de La Chaux-de-Fonds : la fresque horlogère et l’horloge perdue


Le hall de la gare de La Chaux-de-Fonds, la célèbre métropole horlogère, est un paradoxe unique dans l’anthologie des CFF comme Chemins de la finesse fénoménale dans notre région. À côté d’une fresque unique du peintre Dessoulavy représentant le travail des horlogers, ils ont décidé de supprimer la seule horloge de ce hall !

Le peintre chaux-de-fonnier Georges Dessoulavy, oncle de notre feu ami Carlo Baratelli, reçoit en 1946 le mandat de réaliser, à gauche et à droite du couloir central menant aux quais, deux fresques.

Saisissant le merveilleux esprit du lieu, il décide de glorifier «l’union précieuse que l’homme établit entre ce qu’il a créé par son industrie et ce que la nature lui offre».

La fresque de gauche, le « Travail des horlogers », est magnifiquement détaillée dans un article du 24 décembre 1951 paru dans L’Impartial et écrit par Jean-Marie Nussbaum.

« Dans la première fresque, Dessoulavy avait exprimé picturalement l’usine, cherchant à en dire les rythmes, à fixer les rapports de l’homme avec la machine, la victoire ou la défaite de l’un sur l’autre. Ce prodigieux fourmillement de personnages, de fer et de labeur, ce mélange d’esprit et de matière, cette présence d’âme dans la forge industrielle moderne, le tac-tac des presses, tout cela il l’avait puissamment résumé sur le mur, dans une page purement picturale, qui se lit de bas en haut, sans profondeur ni perspective : tout y est et tout est transposé ! C’est la première transposition picturale de ce noble métier et de l’aspect qu’il a pris au vingtième siècle. Les couleurs — selon l’exacte technique de la fresque — viennent soutenir l’arabesque, les rythmes, les formes, et tous les personnages trouvent leur vie individuelle dans cette grande traduction de la fabrique chaux-de-fonnière, tout en prenant place dans l’unité de rythme et d’art à laquelle atteint Dessouslavy. De même, c’est l’horlogerie et rien que l’horlogerie, les détails y sont, à la fois objets et langage pictural : par le particulier, Dessoulavy débouche dans le général, et c’est la vie industrielle qu’il exprime en s’en tenant, avec une fidélité sans exemple, à ce qu’il avait eu sous les yeux.

La fresque de droite, « Les loisirs », exalte la nature, avec des bergers et des pêcheurs, un flâneur, une pique-niqueuse, des jeunes filles ornementées.

Une troisième fresque, qui fait le lien entre les deux murs latéraux, sera exécutée en 1952. C’est « Le Temps », sur le thème des forces cosmiques et des énergies vitales, avec le couronnement de la fille de la forêt au centre. Je subodore que le personnage à gauche, qui tient une règle, avec un cadre à ses pieds, est Le Corbusier. La figure centrale est un trait d’union entre le jour et la nuit, le soleil et la lune.

Dans un article paru dans Le Temps du 29 décembre 2014, Laurent Wolf expliquait que dans ses fresques chaux-de-fonnières, Dessoulavy «est entré dans le XXe siècle. Les lignes, le fractionnement des surfaces, une nouvelle conception de la figuration qui a pris note du cubisme, du constructivisme, de la naissance de l’abstraction. (…) L’industrie est là, avec cet atelier et ces ouvrières dans une usine d’horlogerie, une réussite dans son genre. Mais toujours le même édénisme, la même fête des loisirs, et l’espoir d’un monde heureux. Peut-être ne fallait-il pas troubler les voyageurs, leur figurer la vie comme promesse puisque le voyage en est une.»

En bas à droite de la fresque sur les loisirs, on lit ceci :

Le peintre signe de son nom et mentionne deux autres aides précieuses : le maçon Guiseppe Regginato, avec «une reconnaissance immense pour la compétence et l’admirable conscience professionnelle qu’il a mises au service des fresques de la gare »; et son aide Jacques Guyot, qui, avec Noël Devaux et le neveu du peintre, Carlo Baratelli, ont oeuvré avec le maître. «Sans ces collaborateurs enthousiastes, probes et qui ont fait du bon travail parce qu’ils lui vouaient eux aussi amour et obéissance, il n’y aurait pas aujourd’hui de fresques à la gare».

Le 21 août 1952, à 54 ans, le peintre s’effondre sur la place de l’Hôtel-de-Ville d’Yverdon et succombe à une crise cardiaque. 

Ainsi donc, depuis plusieurs semaines, l’horloge qui indiquait l’heure aux voyageurs se dirigeant vers les quais a disparu.

Photomontage de ©Daniel Musy, 21.11.24

Pourtant, comme l’illustre la photographie de Fernand Perret prise dans les années 60, l’année de l’exposition nationale je crois, et conservée à la Bibliothèque de la Ville, il y a avait bien une horloge CFF, type Mondaine, dix ans après l’inauguration des fresques. L’aspect du hall a peu changé, il est somptueux, aussi beau sinon plus que ceux de Bâle ou de Neuchâtel.

Dans un article paru le 18 novembre 2024 sur la disparition de l’horloge, un employé des Chemins de la finesse fénoménale a indiqué à la journaliste Eléonore Deloye que l’horloge disparue, «qui n’était pas une horloge CFF, a dû être retirée car elle ne fonctionnait plus. Elle n’était plus réparable, car nous n’avons plus les pièces de rechange adéquates.»

Relisant Les Assis de Rimbaud, je m’imagine cet employé semblable aux ronds de cuir décrits par le jeune poète révolté :

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs de leurs chaises
Leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs

Des internautes ont réagi sur ArcInfo le jour de la parution de l’article :

«On m’a dit que je pouvais toujours regarder l’heure sur les distributeurs de billets. Non seulement ce n’est pas aussi lisible qu’avec une horloge, mais en plus, ces distributeurs sont constamment utilisés par les usagers. Cette situation est assez ridicule.»

«Pourtant les CFF vendent des horloges aux guichets. Ils pourraient aisément prendre l’une d’elles et la placer à cet endroit.»

«C’est une honte pour une ville horlogère comme La Chaux-de-Fonds J’espère qu’il y aura une entreprise horlogère qui aura la bonne idée d’installer une horloge à cet endroit.»

«Horloge plus réparable par manque de pièces ???? La réponse est, excusez l’expression, à tomber sur le cul. Les horlogers du canton doivent fulminer. Peut être qu’en demandant en Chine ??? »

«Le Conseil général de LCDF devrait adopter une résolution protestant contre ces abandons et ces laisser-aller.»

«Elle me manque aussi ! Et je ne pense pas que c’est juste une habitude à changer. Les CFF n’ont pas besoin de mettre une horloge de luxe, juste une qui fonctionne. »

Il a raison !

Puissions-nous infléchir la rigidité de la régie fédérale, comme l’Avivo avait réussi à le faire pour la repose d’un pauvre petit banc.

Voici ma proposition, simple, qui pourrait montrer ou non si les CFF ont de la bonne volonté et du respect pour leur hall de la Métropole horlogère : poser une horloge Mondaine sous la fresque des horlogers et au-dessus du logo de la régie.

Et que les CFF ne prétendent pas que les horloges sont inutiles dans leurs garés urbaines. Par exemple, elles foisonnent à Berne.

L’espoir fait vivre car voici la réponse, certes alambiquée, que les CFF ont envoyée à un client fâché, M. Laurent Greset dit Grisel qui l’a diffusée dans un post Facebook.

Je terminerai par la citation de la question posée sur cette horloge par la Conseillère générale socialiste Monique Gagnebin lors de la séance du législatif communal le 17 décembre 2024.

Horloge de la gare

Lorsque je rentre dans le hall pour prendre un train, mon premier réflexe est toujours de regarder l’horloge afin de voir combien de minutes me séparent du départ de mon train.

Ah mince, plus rien ! Bizarre ! Mais je pense que cela va vite revenir à la normale.

Et bien non ! Nous avons appris que les CFF n’ont pas l’intention de la remettre en état, en tout cas pas pour l’instant !

Il y a des choses plus importantes, d’accord, mais ne pas louper le train, c’est aussi important.

Nous avons entendu ou lu que quasi chaque voyageur ou voyageuse a un téléphone portable ! Peut-être, mais ce n’est pas toujours pratique d’aller fouiller dans un sac et me semble-t-il, c’est aussi le propre d’une gare de donner l’heure !

On peut nous répondre qu’il y a une grande horloge sur le parvis de la gare, mais selon l’heure et la lumière, il est quasi impossible de la lire, même et surtout de loin !

Nous savons que la gare ne nous appartient pas, mais serait-il possible d’insister lourdement auprès des CFF pour que cela change, d’autant plus que nous sommes inscrits à l’Unesco pour notre Patrimoine horloger et qu’en 2027, nous serons la Capitale culturelle de la Suisse ?

Dans sa réponse, le Conseiller communal Théo Huguenin-Elie a donné des informations rassurantes. En effet, le Conseil communal a délégué le chef de l’urbanisme pour discuter avec les CFF « en vue de préparer un projet POUR REMETTRE UNE HORLOGE DANS LE HALL DE LA GARE ».

Les CFF n’entrent en matière pour améliorer leurs services dans nos Montagnes que sous le coup de la pression. Leurs ronds-de-cuir à Berne ne savent rien de nous ! Merci à la Ville d’écouter ses citoyens sur ce dossier !

Note de fin mai 2025

Les CFF ont consenti à installer une nouvelle belle horloge Mondaine le 28 mai 2025.

Laisser un commentaire