La photo de Jordan Bardella par Nicolas Messyasz


Le photographe Nicolas Messyasz de l’agence SIPA a photographié récemment Jordan Bardella, 28 ans. Son image rappelle aux historiens de la photographie celle de Joseph Goebbels prise à Genève en 1933 par le photographe américain Alfred Eisenstaedt.

Comme on le lit dans un article de Slate, en septembre 1933, le magazine américain Life envoie un de ses photographes couvrir à Genève un des sommets de la Société des Nations. Son envoyé spécial Alfred Eisenstadt va s’intéresser à un des responsables nazis, qui viennent d’arriver au pouvoir en Allemagne: Joseph Goebbels. Celui-ci s’était félicité du succès de la première manifestation anti-juive d’envergure en Allemagne en avril 33. Le ministre de la propagande est un très proche d’Hitler, et antisémite «viscéral».

Au début, la relation entre le photographe et son sujet est plutôt bonne. Eisenstaedt est allemand et Goebbels se prête au jeu : on le voit sourire au photographe sur un grand nombre de photos. Dont celle-ci :

Eisenstadt a raconté la prise de la photographie « haineuse » : « En 1933, je me suis rendu à Lausanne et à Genève pour la quinzième session de la Société des Nations. Là, assis dans le jardin de l’hôtel, se trouvait le Dr Joseph Goebbels, ministre de la propagande d’Hitler. Il sourit, mais pas à moi. Il regarde quelqu’un à ma gauche… . . Soudain, il m’aperçoit et je lui fais un clin d’œil. Son expression a changé. Voici les yeux de la haine. Etais-je un ennemi ? Derrière lui, son secrétaire particulier, Walter Naumann, avec la barbichette, et l’interprète d’Hitler, le docteur Paul Schmidt. On m’a demandé comment je m’étais senti en photographiant ces hommes. Naturellement, je ne me sentais pas très bien, mais quand j’ai un appareil photo dans les mains, je n’ai pas peur. Lorsque je me suis approché de lui dans le jardin de l’hôtel, il m’a regardé avec des yeux haineux et a attendu que je me fane. Mais je n’ai pas flétri. »

Sur sa page Facebook, Antoine Saucy, « journaliste-traducteur-correcteur freelance », publie le 28 juin 2024 un post à propos de la photographie de Nicolas Messyasz.

Le 4 juillet 2024, cette photo recadrée a fait la une du magazine hebdomadaire de l’Humanité, journal de gauche français fondé en 1904 par Jean Jaurès.

Il commence par suggérer que c’est le hasard qui a placé une ombre carrée au-dessus de la lèvre du possible futur Premier ministre de la République française. C’est pour lui anecdotique qu’on pense à la moustache d’Hitler. Je cite intégralement la suite de son post.

« Car le vrai sujet reste bel et bien le regard. Ces deux yeux perçants, cruels, pleins de haine, à l’exact opposé des poses officielles de campagne et des selfies mal cadrés d’adolescentes (…) ce regard plein de suffisance et de condescendance, mais aussi de la méchanceté retorse du camelot qui croit avoir harponné son prochain client naïf.

La vista du photographe a été de capter pile au bon moment cet instantané qui dit tout sur ce que le RN aurait voulu reléguer au tréfonds de l’arrière-boutique, mais que cette photo sans concession replace au beau milieu de la vitrine, reléguant au second plan la fausse complaisance tiktokée et la dégaine bien peignée de l’apprenti sans expérience qui se voit déjà derrière la cravate du patron.

En cela, cette photo révèle sa véritable force artistique, brossant un portrait en creux qui met crûment en lumière la véritable personnalité, la vacuité, la froideur, le manque d’empathie, bref l’inhumanité d’un regard qui en dit long. Si long que même ceux qui ne connaîtraient pas le prétentieux arriviste en distinguent toutes les dimensions au premier coup d’œil.»

5 commentaires

  1. Excellent ! L’incompétent joue de son charme un peu italien, mais cette photo révèle son côté Mr. Hyde ! Ces éligibles qui ont le plus de succès par les grands partis, je me demande toujours de qui ils sont la marionnette. (Reagan, par exemple, B. Johnson, M. Thatcher, etc.)

  2. Je ne considère pas qu’il y a en Europe une vague qui nous amènerait à répéter la séquence historique qui a mené aux chambres à gaz et à la seconde guerre mondiale. Ce qu’on appelle actuellement « extrême-droite » en Europe a, me semble-t-il, la xénophobie et l’anti-écologie pour dénominateurs commun. Pour ce qui est de la xénophobie, elle est loin d’être l’apanage de ce qui est classé « extrême-droite »,de façon parfois arbitraire, par les historiens. Les propos racistes de Churchill par rapport à Gandhi? La suffisance et la violence colononialiste des Européens face aux autres « races »? Le statut de saisonnier en Suisse? L’absence de droit du sol dans de nombreux pays? Je ne sais pas comment convaincre les gens de ne pas voter RN, mais ce n’est en aucun cas en racontant que Bardella est une réincarnation d’Hitler, car cela n’est pas crédible.

    1. Merci de votre réponse. L’article ne dit absolument pas que Bordella réincarne Hitler. Je me permets d’être très inquiet du racisme ordinaire qui se développe dans l’Europe gouvernée par l’extrême-droite.

  3. Bordella ? Tiens, c’est la première fois que je vois son nom écrit ainsi, mais il se pourrait que je l’adopte, selon les circonstances 🙂 . Pour l’instant, il se ramasse des râteaux, et on dirait que Marine Le Pen le laisse sur le côté.

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