Israel-Gaza : la radicalisation de certains membres de la France insoumise, du POP et du PS vaudois


Depuis le 7 octobre 2023, la gauche mondiale est traversée par des positions antisionistes, voire pro-Hamas, une radicalisation violente dans les mots. La nuance et la reconnaissance de l’altérité sont oblitérées; de même que l’idée qu’en Israël il y ait une gauche anti-gouvernementale et favorable à un État palestinien. On a affaire à « des solutions radicales niant la nuance et la complexité » (Alain Berset dans son discours à l’Assemblée fédérale le 13 décembre 2023). Trois exemples tirés de deux tweets et d’un article vont illustrer mon texte sur le thème du conflit au Proche-Orient.

Selon Clément Viktorovitch,(Le Temps, 30 décembre 2023) « Nous gagnerions, (…) à avoir une approche davantage argumentative du débat public. Plutôt que de rester focalisé sur notre position, essayons de prêter davantage attention aux arguments qui circulent. Nous sommes alors souvent amenés à constater qu’il existe de bons arguments à l’appui de la position adverse. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous laisser convaincre. Nous pouvons reconnaître la pertinence d’un argument, tout en estimant qu’il n’est pas d’une importance suffisante pour nous faire changer d’avis. Mais au moins, nous aurons progressé dans notre réflexion.»

Le tweet de la députée de la France insoumise Sophia Chikirou à propos d’un dessin de Coco

Le 11 mars 2024, en plein Ramadan, la dessinatrice de presse Coco publie dans Libération un dessin illustrant la dramatique situation de Gaza.

Il va lui valoir de la haine et des messages de toute la sphère de l’extrême-gauche française pro-Hamas, dont un tweet d’une députée parisienne de la France insoumise, proche de Jean-Luc Mélenchon, Sophia Chikirou.

Ce dessin, écrit la dessinatrice, « souligne le désespoir des palestiniens, dénonce la famine à Gaza et moque l’absurdité de la religion ». Sur un chemin dont dépasse d’un talus la main d’un cadavre enseveli sous l’effet d’un bombardement, un homme moustachu poursuit deux rats, dont l’un tient un os dans la gueule. Cet homme affamé pendant le Ramadan à Gaza est retenu par la main d’un imam qui lui dit : T-T-T .. PAS AVANT LE COUCHER DU SOLEIL.

Corinne Rey, dite Coco, née le 21 août 1982 à Annemasse, est une dessinatrice de presse qui travaille maintenant pour Libération où elle croque l’actualité.

Le 7 janvier 2015, elle est prise en otage au siège de Charlie Hebdo par les frères Kouachi. Sous la menace d’armes, elle les mène à l’étage des locaux du journal et saisit le code de la porte de sécurité blindée ; les terroristes pénètrent par surprise dans la salle de rédaction, où ils assassinent plusieurs membres de la rédaction. Un journaliste rescapé, Philippe Lançon, dans son livre Le Lambeau, raconte la scène avec Coco dans la salle de rédaction où il gît, la mâchoire à moitié déchirée.

Je crois avoir dit à Coco : « C’est le numéro de ma mère, préviens-la ! » Mais elle flottait. J’ai commencé par m’énerver, d’abord parce qu’elle semblait ne pas me comprendre, ensuite parce qu’elle avait sans doute quelque raison de ne pas me comprendre. Je ne comprenais pas, moi, ce qui résistait. Tout le monde était mort autour de nous, ce n’était pas une raison pour ne pas communiquer entre survivants. Je me comprenais, j’entendais ma voix, mes paroles, tout était parfaitement clair et je savais ce qu’il fallait faire, mais son regard m’indiquait qu’elle avait quelque difficulté à me suivre. Ma voix était bien là, pourtant, bien en place, celle que je supportais si mal d’entendre et que pour une fois j’étais heureux d’entendre.

Quelques bouts de dents sont passés dans la bouche de droite à gauche, de gauche à droite, ma langue a joué avec comme avec des miettes et j’ai senti que j’avais peut-être du mal à articuler. Coco a pris mon portable, regardé le nom qui apparaissait et elle a répété : « C’est ta mère ? J’appelle ta mère ? » J’ai dit oui. Elle a appelé et je l’ai entendue dire : « Bonjour, c’est Coco, je suis dessinatrice à Charlie. Il y a eu un attentat. Votre fils est gravement blessé. Il est avec moi, il est vivant, il est défiguré. » A-t-elle dit ça ? Dans mon souvenir, oui, et je crois me rappeler ma réaction : « Ne dis pas ça ! » Coco a parié quelques secondes de plus avec ma mère, je ne sais plus, mais elle a raccroché, elle suffoquait en silence et pleurait. J’ai su plus tard que ma mère lui demandait ce qui avait eu lieu et où j’étais. Elle a d’abord cru que j’étais la seule victime et qu’on m’avait tiré dessus à cause de l’article sur Michel Houellebecq. Ce n’était pas vrai, mais, après tout, ce n’était pas non plus tout à fait faux. Ceux qui veulent vous éliminer ont toujours une raison de le faire, et il est intéressant d’imaginer qu’ils n’aient pas tort.

Cependant, selon Coco, c’est moi qui lui ai dit : « Appelle ma mère, dis-lui que je suis défiguré ! » C’est possible. Il est possible que, m’étant découvert par surprise et sous le choc d’une révélation qui par ailleurs me laissait froid, j’aie demandé à Coco de faire passer ce qui a dû me sembler, malgré tout, le message principal. Si c’est le cas. Coco me comprenait parfaitement – ou, en tout cas, suffisamment. Pourquoi la reverrai-je sans cesse hésiter, flotter, comme si elle ne comprenait rien à ce que je lui demandais ? Était-ce moi celui qui flottait, ne comprenait rien, qui parlait sans s’en rendre compte et qui, tel un menteur professionnel mais pour des raisons moins inavouables, se dotait d’une mémoire isolante et sélective ? L’homme qui triait les souvenirs comme si un siècle le séparait de la minute précédente, était-ce celui qui était déjà presque mort, ou celui qui commençait à le remplacer ? Je ne savais pas lequel des deux vivait et je ne sais pas lequel des deux écrit.

À la suite de ce dessin, la députée Sophia Chikirou (France insoumise) publie un tweet d’un grande violence qui est vite dénoncé par la journaliste et essayiste Caroline Fourest.

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En France, il y a une alliance entre des milieux islamistes souvent violemment antisémites et les milieux d’extrême-gauche, au nom de la cause palestinienne. Elle est érigée en nouvelle cause universelle. Jamais on n’entend la France insoumise revendiquer une Palestine libérée d’un groupe d’islamistes fanatiques qui instrumentalisent le peuple. Le Hamas, groupe terroriste et mafieux, est par exemple présenté par la philosophe américaine Judith Butler comme un mouvement de résistance. 

Pour ces marxistes, la religion n’est plus l’opium du peuple.  Caroline Fourest pense d’ailleurs qu’un un certain gauchisme marche aujourd’hui « main dans la main avec l’islam le plus rétrograde. Il espère faire sortir la révolution du choc des communautés ». 

Dans son roman Soumission paru en 2015, Michel Houellebecq fait décrire par Robert Rediger, le personnage de fiction converti à l’islam et professeur d’université devenu politicien, l’islamo-gauchisme comme « une tentative désespérée de marxistes décomposés, pourrissants, en état de mort clinique, pour se hisser hors des poubelles de l’histoire en s’accrochant aux forces montantes de l’islam ». (Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, 2015, p 223).

Il y aurait donc des gauchistes, de coeur avec la douleur des Palestiniens et favorables à l’islamisme, sans savoir vraiment ce que recouvre ce concept. Ils sont aussi favorables à l’islam en général, par « principe pavlovien », comme le dit bien un journaliste du Figaro dont la référence exacte m’a échappé. Et il existe aussi, à l’inverse, « des islamistes qui se servent du gauchisme pour servir leurs buts, mais le méprisent en réalité, et avec une grande virulence dans les milieux djihaistes ».

L’éditorial de Voix populaire, mensuel du POP suisse, novembre 2023

L’ancien hebdomadaire popiste La Voix ouvrière pour lequel, quand Gérard Berger en était rédacteur en chef, j’ai une fois ou l’autre collaboré il y a quarante ans, est devenu un mensuel nommé Voix populaire. Y écrit notamment Amanda Ioset, une Neuchâteloise, co-auteure d’un éditorial en première page dans le numéro de novembre.

Le 8 octobre 2023, un professeur de l’Université de Berne chargé d’un institut d’études sur l’islam, publie deux tweets en arabe. Dans le premier, son texte, assorti d’une image des atrocités commises par le Hamas, est le suivant selon la traduction anglaise : « Thank you to the Palestinian resistance for the best gift that came before my birthday ». « Merci à la résistance palestinienne pour le plus beau cadeau possible survenu la veille de mon anniversaire.»

Dans le second, il partage une vidéo du Hamas avec mots : « Shabbat Shalom ». L’expression shabbat shalom s’utilise pour saluer une personne le samedi, lui souhaiter un bon shabbat et un bon week-end. Cette expression est principalement employée par les juifs . Le 7 octobre 2023 était un samedi…

L’Université de Berne a licencié avec effet immédiat ce professeur.

Dans l’éditorial de Voix populaire, Amanda Ioset et son collègue signent un texte, Pour une paix durable, l’occupation doit cesser. « Certes, ces attaques ont coûté la vie à de nombreux civils innocents, ce qui est choquant à juste titre et ne saurait être justifié. Néanmoins c’est bien davantage l’offensive de la résistance palestinienne qui doit être comprise comme une réponse – réponse à une colonisation inhumaine, meurtrière et humiliante qui dure depuis trop longtemps.»

Rhétorique tant de fois lue et entendue dans l’extrême-gauche suisse depuis le 7 octobre. La barbarie du Hamas le 7 octobre est une « attaque »…

L’aveuglement intellectuel de l’article se trouve plus loin dans l’argumentation de la prétendue répression de la liberté d’expression exercée par certains cantons alémaniques. Ils ont interdit des actions de solidarité avec le peuple palestinien. « L’Université de Berne est allée jusqu’à licencier un professeur pour un simple tweet. Cette répression des droits démocratiques est absolument inacceptable. »

Les deux journalistes, aveuglés par leur idéologie, insensibles à la dialectique et à la nuance, incapables de se mettre à la place de l’autre, en l’occurrence le peuple israélien, sa gauche en particulier, méconnaissent une référence essentielle : le paradoxe de la tolérance, concept inventé par Karl Popper.

Le paradoxe de la tolérance affirme que si une société est tolérante sans limite, sa capacité à être tolérante est finalement détruite par l’intolérant. Ce paradoxe se formule ainsi : « Pour maintenir une société tolérante, la société doit être intolérante à la l’intolérance. » Popper développe cela en écrivant : « Je n’implique pas, par exemple, que nous devions toujours supprimer l’énoncé des philosophes intolérants; tant que que nous pourrons les contrer par des arguments rationnels et les contrôler par l’opinion publique, la suppression serait très imprudente. Mais nous devons revendiquer de les supprimer si nécessaire, même par la force. »

Dans ce sens, l’éviction du professeur bernois était autant nécessaire que l’aurait été l’éviction d’un négationniste des crimes nazis. Le POP l’aurait sûrement exigé si le cas s’était présenté.

On peut aussi lire ici comment le vice-président du POP, Zakaria, Dridi, construit son antisémitisme sur Instagram en dialoguant avec un internaute après le 7 octobre.

Le tweet de Mountazar Jaffar, élu socialiste au législatif de Lausanne

Le journal en ligne Blick a soulevé l’affaire du tweet de ce camarade socialiste de Lausanne à la suite de l’attentat du samedi 2 mars à Zurich. Un jeune de 15 ans a attaqué un juif orthodoxe et l’a grièvement blessé. Les autorités ont exploré la piste d’une attaque antisémite. La communauté juive a été sous le choc et a parlé d’un acte sans précédent en Suisse. Plus tard, l’État islamique aurait salué cette action violente.

Au lieu de condamner cet abominable acte antisémite, Jaffar publie ce tweet en partageant l’article du Blick. À ce jour, il ne l’a pas effacé.

Mountazar Jaffar se présente comme doctorant et assistant en science politique et conseiller communal lausannois, sans préciser le nom de son parti.

Ma réponse du 7 mars à son tweet est en lien avec la réaction du PLR Philippe Nantermod qui a accusé Jaffar d’antisémitisme. Il n’a pas eu tort car il arrive que l’antisionisme affiché de beaucoup de personnes de gauche vire parfois à de l’antisémitisme.

Si Jazzar reçoit quelques soutiens de camarades de gauche ou socialistes, il subit un tombereau d’injures dans d’autres tweets. Seuls quelques internautes arrivent à expliquer posément pourquoi, comme moi, ils sont heurtés.

Outre le fait que cet élu d’un parti de la gauche démocratique ne condamne pas l’attentat, il essaie de l’expliquer par un sophisme, des renversements argumentatifs, des inversions de valeurs et des amalgames.

Son explication sans condamnation l’amène de façon souterraine à justifier l’agression au couteau. En ce sens, puisque l’agressé est juif et que Jazzar ne s’en émeut pas, ses paroles, dans ce tweet, sont antisémites. L’homme de Zurich est attaqué parce qu’il est juif non parce qu’il soutient Israël; cela, Jaffar le passe sous silence car peu lui importe la valeur d’un juif.

Comme je l’ai écrit dans ma réponse, il considère que l’Etat hébreu est terroriste. Ce qui est pire, plus terrible qu’une agression antisémite à Zurich ! Pour Jaffar, les actes de violence ne sont pas horribles en soi, comme la morale humaniste nous impose de le sentir. Le mal est explicable, sinon justifiable, au nom d’un mal plus grand !

De plus, notre cher camarade met sur le même plan la guerre, certes atroce, menée par Israël contre le Hamas et les attentats islamistes de New York en 2001 perpétrés par Daech. C’est un sophisme de la fausse analogie.

En citant Charlie Hebdo, je pense qu’il fait référence non aux publications de ce journal mais à l’attentat du 11 janvier 2015 précédemment évoqué dans cet article. Jaffar présuppose que les USA et Charlie Hebdo ont en quelque sorte mérité ce qui leur est arrivé, comme le juif agressé à Zurich. Un internaute parle « d’inversion accusatoire », ici évidemment remplie d’antisémitisme. Si un juif, un être humain particulier, se fait agresser, c’est de la faute des juifs en général qui attisent l’antisémitisme en soutenant l’Etat hébreu. Pour Jaffar, tous les juifs se valent, de gauche ou de droite, puisque par principe ils soutiendraient Netanyahu.

Le 12 mai 2024, dans Le Matin Dimanche, un article sur des tweets antisémites likés par Jaffar paraissait.

Le 13 mai, le Parti socialiste vaudois prenait des mesures bienvenues selon moi contre son camarade.

Sophia Chikirou, Amanda Ioset, Mountazar Jaffar, trois militant-e-s de gauche aveuglé-e-s dans un monde où le sens de la nuance et de la dialectique, ferments du dialogue philosophique et social, devient difficile. La gauche européenne manque de boussole morale et fait le lit de l’extrême-droite. La nouvelle gauche obscurantiste est un monstre neuf.

Pour compléter ce article et redonner de la valeur à la pensée argumentée, je mets en ligne deux textes : l’un fait dialoguer deux intellectuels juifs de gauche, Eva Ilouz et Derek Penslar (La gauche ne sait plus parler de ce qui se passe au Proche-Orient); l’autre, paru dans Pages de gauche, est une réponse à une militante de Solidarités sur le féminisme et le Hamas.

Et je termine par un article de Thomas Legrand dans Libération du 29 mars 2024.

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