Poésie fluviale et maritime à Leigh on Sea


À 45 minutes de la gare londonienne de Fenchurch Street, la bourgade fluviale et maritime de Leigh on Sea offre un paysage poétique unique, à l’embouchure de la Tamise.

Rien n’est ici spectaculaire. Le paysage apaisant est imprégné de permanence, d’infini, de douceur rythmée et de fluidité silencieuse. Fleuve et mer se mêlent, dans un flux et reflux de la marée.

Ce lieu m’est cher et familier depuis quarante ans car on trouve aussi sur la marina des pubs et des marchand de fruits de mer et poissons typiques… La bière de l’Essex Adnams, les cockles (les coques) et la jellied eel (l’anguille en gelée) sont mon régal inégalable en Grande-Bretagne.

Un lieu est poétique avant tout par sa permanence. D’une année ou d’une décennie à l’autre, il reste le même : même espace naturel, mêmes constructions humaines.

Il nous ouvre sur l’infini; sa poésie est aussi là. Dans ce sens, la paroi nord de l’Eiger à la Petite Scheidegg, ou le Saut du Doubs nous limitent. Ils coupent l’espace ou sont assourdissants. À Leigh, l’estuaire souvent brumeux ou pastel s’étend jusqu’à l’autre rive sans obstacle autre que les quelques barques échouées sur le sable à marée basse.

Comme des notes sur une partition vierge, elles rythment le paysage avec les bancs de sable striés.

La semaine, le silence règne, sans paquebots ronflants, avions qui atterrissent ou foules qui hurlent. Seuls les trains derrière les pubs nous rappellent la proximité de Londres. Les samedis et dimanches ou l’été, avec les belles petites plages, c’est plus animé. Mais si typique, si unique dans cette bourgade où la mer est la plus proche de Londres.

Un paysage est aussi poétique par sa douceur fluide : à Leigh, le regard coule sur l’étendue plate, comme la marée monte ou descend, comme l’eau se retire ou envahit le sol sableux.

Une habitante de Leigh on Sea a su décrire sa bourgade natale avec ses mots simples, ici traduits par un logiciel performant.

Un petit bateau de pêche fend le calme des eaux teintées d’émeraude de l’estuaire de la Tamise, des vagues blanches et écumeuses s’écartent du navire qui se dirige doucement vers les poissonniers, attendant patiemment la pêche du jour sur le port de plaisance. 
Le doux ronronnement du moteur du bateau est étouffé par le bruit des nombreuses mouettes qui se baissent, plongent et piquent du nez dans l’espoir d’attraper un maquereau ou un crabe malchanceux qui se tortille pour retrouver la liberté de l’eau froide et salée. 
Un soleil pâle et pastel commence à apparaître derrière le bateau, projetant la lumière des premiers jours sur la ville lointaine du comté voisin, dont les tours industrielles crachent de la vapeur dans l’air frais du matin.
Lorsque le bateau entre dans la petite marina de pêche, un centre d’activité tranquille se met en place. Les divers poissonniers saluent le pêcheur battu par le vent et se préparent à prendre leur prise fraîche et étincelante. 
Un phoque sort la tête de l’eau, observant avec impatience les poissons qui tombent des grandes caisses de poissons transportés. Il inspire une bouffée d’air vif et se retire sous la protection des douces vagues, ses moustaches humides disparaissant dans l’eau trouble tandis qu’il s’éclipse délicatement hors de vue.
Au fur et à mesure que le soleil se lève, les employés des petits bars et pubs de la marina installent leurs chaises et leurs tables. Ils se préparent à une journée bien remplie, au cours de laquelle la population locale profitera des premiers rayons du soleil de l’année et se régalera des prises des pêcheurs.
Non loin de là, alors que la marée commence à se retirer, les vasières prennent forme. Des motifs en spirale se forment au fur et à mesure que les minces canaux d’eau, qui se déplacent avec la marée, se frayent un chemin à travers la vase. Les phoques au repos observent paresseusement les volées de petits oiseaux de mer qui se tortillent et s’extasient en motifs abstraits, comme un panache de fumée, vivant et respirant, gazouillant les uns avec les autres. Ils se dispersent lorsqu’un faucon pèlerin plongeant s’abat comme un missile silencieux, espérant prendre l’un des oiseaux au dépourvu. Il rate sa cible et s’envole vers la ville. 
Un train quitte la gare, les pendulaires locaux qui se rendent à Londres regardent par les fenêtres, troquant cette belle petite ville de pêcheurs pour l’air animé, bondé et enfumé de la capitale, pour le reste de la journée. Ils reviennent plus tard, alors que le soleil se couche, que la lune se lève et que la marée verte et froide recouvre les vasières. Ses vagues prudentes déplacent les coquillages et le sable du petit bout de plage. Un couple d’aigrettes perturbe la vase en dessous avec ses pieds délicats, réagissant vivement à tout poisson ou invertébré surpris pour voler un repas de fin de soirée. 
Je suis née ici et j’y ai passé la plus grande partie de ma vie. J’ai déménagé de temps en temps, pour le travail et d’autres engagements, mais l’odeur de la mer me ramène toujours à Leigh, ma ville natale.

Je reviens sur la poésie du Crooked Billet (le bâton tordu), le pub emblématique de la marina avec son intérieur typé : feu artificiel de cheminée, real ales, bière anglaises amères pompées au tonneau, sièges en cuir et tabourets, habitués avec leurs pintes.

On va y chercher sa pinte après avoir acheté chez le poissonnier Osborne un petit gobelet de coques au goût salin, un exquis maquereau fumé et surtout cinq morceaux d’anguilles en gelée dans un autre gobelet en plastique, le mets prototypique de l’East End londonien, des cockneys. Leur fraîcheur totale, leur goût vaseux, leur gelée peu salée et délicate sont un délice pour l’amateur, une horreur pour les petites natures revêches aux expériences audacieuses.

Cinq kilomètres à pied nous séparent de Southend on Sea, la station balnéaire très connue de l’Essex avec sa plus longue jetée de Grande-Bretagne.

Revigorée par l’air salin, on passera devant la statue de Sir David Amess, député de la circonscription de Southend South. Le 15 octobre 2021, lors d’une permanence parlementaire qu’il tenait dans une église de sa circonscription à Leigh on Sea, il a été poignardé à plusieurs reprises par un terroriste islamiste et a succombé à ses blessures.

On s’arrêtera boire un thé dans un petit restaurant de plage et on reviendra au coucher du soleil à Londres, en ce merveilleux jour de fin mars.

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