Aimons les crèches dans leur profusion spirituelle


Au-delà de la polémique sur la crèche du bûcheron à Neuchâtel, nous affirmons aimer les crèches pour leur profusion spirituelle, esthétique notamment.

Sorrente voyage d'étude - 078 - Version 2

J’ai été récemment particulièrement impressionné par la lecture du livre d’Abdennour Bidar, L’Islam sans soumission qui tente d’édifier un nouvel existentialisme musulman, en mettant en évidence la liberté le l’homme et de la femme. En effet, selon lui, « des siècles de traditions idéologiques ont enfermé l’islam, l’assimilant à la seule soumission à un Dieu dont les hommes ne seraient que les serviteurs« . Bidar pense que l’islam est au contraire « la chance pour l’humain de naître à sa pleine souveraineté, en tant qu’héritier d’un véritable pouvoir divin« . Etre musulman signifie pour lui ne pas se soumettre éternellement, mais au contraire se conduire en « immortel » et assumer en soi cette part de transcendance.

Ce philosophe musulman moderniste dont la page Facebook « Repenser l’islam avec Abdennour Bidar » mérite d’être suivie (https://www.facebook.com/groups/738833172825069/?fref=ts) explique dans un chapitre comment le christianisme considère que Dieu donne au Christ une puissance d’amour infinie en partageant sa nature mortelle, « mais ce faisant il se défait de sa puissance infinie et ne peut donc en rien en transmettre à l’homme. » C’est là, selon lui, la raison profonde pour laquelle le Coran affirmera que le Christ n’est pas mort sur la Croix, comme on le lit dans la sourate IV, versets 157-158 : « Ils ne l’ont pas tué ; ils ne l’ont pas crucifié, cela leur est seulement apparu ainsi […] mais Dieu l’a élevé vers lui »Bidar interprète cette sourate ainsi : Le Christ n’ a pas pu « mourir sur la Croix parce que Dieu lui a transmis sa propre puissance créatrice qui est la porte de l’éternité, l’élixir de l’immortalité« .

Digression stimulante pour suggérer que le Christ peut être une figure essentielle de profondeur pour un musulman éclairé. Sa naissance imagée dans une crèche a une portée spirituelle qui dépasse le cadre du christianisme et des croyants chrétiens.

De même les crèches, dans leur beauté baroque esthétique ou imaginative, vont toucher même le plus laïcard des gauchistes. Nous aimons par-dessus tout les crèches napolitaines, des plus grandes aux plus intimes. Une immense crèche du XIX siècle est ainsi exposée à Naples à la Chartreuse de San Martino, se subdivisant selon la tradition en trois parties : la crèche elle-même, les bergers qui reçoivent la bonne nouvelle et, surtout, la figuration de toute la vie populaire alentour, avec une multitude de santons, les « pastori » dont Naples se fait une spécialité artisanale encore très vivante.

Sorrente voyage d'étude - 078 - Version 2

Dans le registre moins spectaculaire, admirez cette « crèche » construite dans un très vieil olivier de la péninsule sorrentine ou la plus récente de notre cher ami Peppino Nunziata, qu’il a construite pour son plaisir. On a même le privilège de voir une belle crèche dans une pizzeria napolitaine dont nous avons récemment parlé.

001Crèche à Marciano, près de Sorrente
P1020518Crèche de Peppino Nunziata à Massa Lubrense

 

IMG_2038Crèche de la pizzeria Concettina ai tre santi à Naples

 

A Séville, la Fête des Rois est plus importante que Noël puisque c’est ce jour que sont distribués aux enfants les « cadeaux de Noêl ». Dans le patio d’une maison bourgeoise sera exposée la crèche de la famille et dans les églises, les crèches se trouveront à côté du Christ en croix.

Epiphanies et crèches - 022

Epiphanies et crèches - 012

 

Bref, voir se confronter dans une polémique stérile les fondamentalistes chrétiens d’extrême-droite et les partisans bien dogmatiques d’une laïcité d’exclusion me donne envie d’en référer à la position de l’éthicien protestant Denis Müller, par ailleurs camarade socialiste neuchâtelois. Comme l’écrit Le Temps, « il constate qu’on oppose parfois aux fondamentalismes religieux un fondamentalisme de la laïcité, qui nie la tradition culturelle. Il affirme que «l’erreur politique, à Neuchâtel, aura certainement été la précipitation et le manque de dialogue entre autorités et représentants des différentes religions ».

C’est exactement ce qui s’est passé : d’un geste bienveillant, peut-être naïf mais sûrement pas idéologique, du bûcheron, le Conseil communal fait une affaire en médiatisant à outrance l’enlèvement de la crèche du lieu sacré, l’espace communal. Il était plus simple de la laisser là cette année ou de la translater discrètement en une heure devant le temple.

Je ne sais qui peut en retirer un avantage en ces temps troublés mais sûrement pas le camarade conseiller communal Olivier Arni qui s’est fait crucifier par les médias, dont le Blick.

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Et la position laïciste stricte de Matthieu Béguelin convainc peu. « Notre culture, c’est une démocratie laïque où les gens sont libres de croire en ce qu’ils veulent, sans qu’on leur impose une religion en particulier ». Comme le dit Denis Müller, « ce n’est pas parce qu’on place une crèche dans l’espace public qu’on oblige les gens à croire et à se convertir au christianisme ». Nous avons essayé plus haut de montrer qu’une crèche a une portée bien plus large que religieuse.

Matthieu continue en affirmant qu’
en France,  » ce sont les mairies FN qui installent des crèches au mépris de la laïcité.  » Certes, mais en désinstallant brutalement la crèche du bûcheron, la ville de Neuchâtel a agi au mépris de l’esprit de la laïcité. Nous l’avons souvent dit et écrit, pour nous, « l’esprit de la laïcité, c’est la laïcité de l’esprit« , comme le formule si bien Comte-Sponville. Cette capacité à se déposséder de l’idée qu’on a une vérité à imposer aux autres : vérité de la laïcité, vérité de «notre culture chrétienne».

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